En tant qu’architecte, durant toute votre carrière, vous êtes confronté à des clients qui vous demandent de modifier vos plans, vos idées, vos projets, etc. Face à des demandes tantôt fondées, tantôt injustifiées, comment réagir ? Faut-il tout accepter ? Vous pouvez aussi être confronté à la copie, la modification ou la démolition de votre œuvre architecturale. Quels sont vos droits ? Saviez-vous que vous disposez de prérogatives multiples pour protéger vos projets architecturaux, notamment par le biais de la protection accordée par le droit d’auteur français ? Mais comment faire ? Dans cet article, Creatricks vous donne les réponses à toutes vos questions sur le droit d’auteur de l’architecte :
- C’est quoi le droit d’auteur ?
- Comment reconnait-on une œuvre architecturale originale ?
- Quelles créations de l’architecte sont protégées par le droit d’auteur ?
- À partir de quand les créations de l’architecte sont-elles protégées par le droit d’auteur ?
- Qui est titulaire du droit d’auteur sur une œuvre architecturale ?
- Architecte, puis-je m’opposer à la cession de mes droits d’auteur ?
- Comment valoriser la cession de mes droits patrimoniaux à mon client ?
- Puis-je m’opposer à la modification de mon œuvre architecturale ?
- Quelle est la différence entre l’inspiration et la contrefaçon ?
- Quels sont les risques déontologiques encourus en reprenant le travail d’un confrère ?
- Comment mettre fin à une atteinte au droit d’auteur ?
- Quid de la démolition de l’œuvre architecturale ?
- Le maître d’ouvrage peut-il faire tout ce qu’il veut de mon œuvre architecturale ?
- Quel est l’impact de l’intelligence artificielle sur les droits d’auteur de l’architecte ?
C’est quoi le droit d’auteur ?
Le droit d’auteur est une protection accordée par le Code de la propriété intellectuelle à tous les auteurs sur leurs œuvres, y compris aux architectes (article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle).
La jurisprudence subordonne cette protection à la démonstration de l’originalité de l’œuvre. Autrement dit, il faut démontrer que votre œuvre architecturale témoigne de votre personnalité et que vous avez fait des choix libres et créatifs.
Le droit d’auteur regroupe :
- d’un côté les droits patrimoniaux, qui permettent à l’auteur d’exploiter son œuvre ;
- et de l’autre côté, le droit moral, qui permet à l’auteur de préserver l’intégrité de son œuvre.
Seuls les droits patrimoniaux sont cessibles, à titre gratuit ou onéreux. Ils perdurent 70 ans après le décès de l’auteur.
Le droit moral est quant à lui inaliénable (on ne peut pas le céder), imprescriptible (même si on ne l’utilise pas, on ne le perd pas) et perpétuel (au décès de l’auteur, il est transmissible à ses héritiers).
Vous ne comprenez rien au charabia juridique ? Consultez notre petit lexique de définitions du droit d’auteur.
Comment reconnait-on une œuvre architecturale originale ?
Pour que votre œuvre architecturale soit reconnue originale, et donc protégeable par le droit d’auteur, vous devez établir et caractériser les éléments esthétiques que vous considérez comme susceptibles de refléter votre personnalité.
Vous ne pouvez pas vous contenter d’une description technique de votre œuvre ni de considérations génériques.
Les juridictions tranchent cette question de manière très concrète.
Voici quelques exemples :
- N’est pas originale l’édification « d’une façade d’immeuble comportant un pignon et deux bandeaux horizontaux de couleur blanche, des panneaux verticaux de couleur brune et des allèges de fenêtres de couleur marron orangé », dont l’architecte ne démontre pas qu’il est l’auteur du choix des couleurs desdits panneaux (CA Paris, 7 février 2001, n° 1998/21080).
- Est originale l’œuvre d’immeubles pris « aussi bien dans leur ensemble qu’isolément, par la combinaison harmonieuse des éléments qui les composent, notamment des volumes et des couleurs » (CA Paris, 19 juin 1979, n° 9323, Sté Hoechst France c/ Braslavsky).
Pour en savoir plus sur l’originalité, critère de protection par le droit d’auteur, lisez notre article dédié.
Quelles créations de l’architecte sont protégées par le droit d’auteur ?
Les dispositions du Code de la propriété intellectuelle protègent l’ensemble des œuvres d’architecture. Celles-ci comprennent les plans, croquis, ouvrages plastiques relatifs à l’architecture, etc. (article L. 112-2). Cela inclut également le bâtiment édifié selon les plans de l’architecte.
Ainsi, les travaux préparatoires à la réalisation d’un ouvrage (plans, croquis, maquettes), et les bâtiments en tant que tels, sont protégés par le droit d’auteur, dès lors qu’ils présentent un caractère original.
À partir de quand les créations de l’architecte sont-elles protégées par le droit d’auteur ?
La protection accordée par le droit d’auteur ne nécessite aucune procédure particulière. Dès le premier coup de crayon, l’œuvre réalisée est protégée, si elle est originale. Il n’y a donc aucune formalité à accomplir. Les dispositions du droit d’auteur étant d’ordre public, il n’est pas possible d’y déroger par quelconque moyen.
Cependant, il est fortement conseillé de sauvegarder la preuve de la date de création de votre œuvre.
Vous ne savez pas comment vous y prendre ? Visionnez notre vidéo présentant 5 méthodes pratiques pour dater vos créations.
Qui est titulaire du droit d’auteur sur une œuvre architecturale ?
Le droit d’auteur est un droit personnel attaché à la personne qui a réalisé l’œuvre architecturale.
Cependant, il se peut que vous réalisiez vos œuvres avec d’autres architectes, en co-traitance notamment.
Dans ce cas, le Code de la propriété intellectuelle (articles L. 113-2 et suivants) différencie :
- l’œuvre collective, qui appartient à la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée ;
- l’œuvre de collaboration, qui est la propriété commune des coauteurs ;
- et l’œuvre composite, qui appartient à l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’œuvre préexistante.
Sur ce sujet, consultez :
Architecte, puis-je m’opposer à la cession de mes droits d’auteur ?
La cession des droits patrimoniaux (le droit moral est incessible) n’est uniquement possible que par accord écrit et signé entre le cédant (vous) et le cessionnaire (votre client).
Si vous ne souhaitez pas céder vos droits patrimoniaux, vous pouvez le refuser. Mais attention : sans cession de ces droits, le maître d’ouvrage ne pourra pas édifier l’œuvre architecturale. Un compromis doit donc être trouvé sur le montant de la cession (qui est généralement inclus dans le montant des honoraires de l’architecte).
Comment valoriser la cession de mes droits patrimoniaux à mon client ?
L’architecte peut demander à être rémunéré pour la cession de ses droits patrimoniaux. Chaque droit cédé et les conditions financières de cette cession doivent être définis par écrit.
C’est à vous, architecte, de négocier le montant de cette cession, en prenant en compte qu’à défaut de cession, le maître d’ouvrage ne pourra pas édifier l’œuvre architecturale.
S’il est compliqué dans la pratique de demander un montant spécifique pour la cession de vos droits d’auteur, vous pouvez valoriser cette cession en demandant une augmentation du montant de vos honoraires.
Pour aller plus loin sur le sujet de la cession des droits d’auteur :
- Article : Cession de droits d’auteur, comment se protéger ?
- Podcast : Comment céder mes droits d’auteur ?
- Infographie : Que mettre dans la clause de cession de droits d’auteur ?
Puis-je m’opposer à la modification de mon œuvre architecturale ?
Le droit moral, prévu à l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, comporte quatre attributs distincts :
- le droit de divulgation (le choix de divulguer l’œuvre ou non) ;
- le droit de retrait et de repentir (de retirer l’œuvre et de renoncer au projet, le plus souvent contre indemnisation du cessionnaire) ;
- le droit à la paternité (droit de voir le nom de l’auteur mentionné sur l’œuvre) ;
- le droit au respect de l’intégralité de l’œuvre.
Sur le fondement du droit au respect de l’intégrité de l’œuvre, l’architecte peut s’opposer à toute dénaturation de son œuvre originale. Ainsi, toute personne souhaitant adapter ou transformer votre œuvre architecturale devra solliciter votre consentement au préalable.
C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation a considéré, en 1987, que les travaux de gros œuvre exécutés sans l’accord de l’architecte ont dénaturé son œuvre, en dénaturant l’harmonie de l’ensemble original qu’il avait conçu. Il s’agissait de l’installation, par la Ville de Lille, d’un faux plafond dans une salle polyvalente qui coupait les perspectives, sans que le maître d’ouvrage démontre la réalité d’impératifs techniques justifiant ces travaux (Cass. 1re civ., 1er décembre 1987, n° 86‑12983).
Quelle est la différence entre l’inspiration et la contrefaçon ?
La différence entre les deux est extrêmement compliquée à fixer. Les juridictions statuent sur la contrefaçon de manière très concrète, en regardant ce qui se ressemble et ce qui ne se ressemble pas entre deux œuvres architecturales.
L’inspiration ne peut être considérée comme une contrefaçon ou un plagiat à partir du moment où la nouvelle œuvre architecturale originale ne recopie pas d’éléments particuliers et originaux de l’œuvre dont elle est inspirée.
Le coup de crayon architectural de la première œuvre originale ne peut se retrouver dans la seconde, sous peine de se transformer en contrefaçon.
A ainsi été considérée comme une contrefaçon l’utilisation d’une esquisse de l’implantation d’un escalier et de la forme d’un toit qui, dans la mesure où elles portent l’empreinte de l’auteur, sont originales, et ne peuvent donc être reproduites sans son autorisation (CA Paris, 26 octobre 1990, « Batimo c/Bourdariat », Juris-Data n° 024192).
Au contraire, les seules ressemblances existantes entre deux modèles qui ne relèvent que de la reprise d’un genre et non de la reproduction des traits spécifiques du modèle invoqué ne peuvent être considérées comme une contrefaçon (CA Paris, 8 janvier 1992, « Bernardaud c/MMPH »).
Quels sont les risques déontologiques encourus en reprenant le travail d’un confrère ?
Le Code de déontologie des architectes s’est emparé de la question des droits d’auteur :
- en interdisant le plagiat (article 24) ;
- en interdisant la signature de complaisance, qui revient à signer un projet architectural sans y avoir participé (article 5) ;
- et en précisant les conditions de la succession d’architectes sur un même projet (article 22).
Ainsi, les architectes doivent également respecter les droits d’auteurs de leurs confrères.
Un architecte ne peut ni modifier le projet architectural original d’un de ses confrères sans son accord préalable ni recopier une œuvre architecturale originale. Il ne peut pas non plus signer un projet architectural auquel il n’a pas participé, ou déposer un permis de construire modificatif s’il n’a pas participé au projet architectural en amont.
Comment mettre fin à une atteinte au droit d’auteur ?
Comme indiqué plus haut, le droit moral est imprescriptible, c’est-à-dire que même si vous n’exercez pas votre droit, il ne disparaît pas. Mais cela ne veut pas dire que vous pouvez agir n’importe quand !
L’action en contrefaçon, fondée sur les articles L. 331-1 et L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle, permet de contester les atteintes aussi bien au droit moral qu’aux droits patrimoniaux.
La particularité de cette action est qu’elle peut être intentée devant les juridictions civiles ou pénales, ou les deux ! Dans l’hypothèse d’une saisie de la juridiction civile, seules certaines juridictions spécialisées en France seront compétentes (il faut donc faire bien attention à saisir la bonne juridiction).
Dans le cadre de cette action, vous pouvez saisir un juge en référé (en cas d’urgence) et/ou au fond pour obtenir la fin de l’atteinte et/ou l’indemnisation du préjudice direct qui en découle.
Attention toutefois à l’action visant à réprimer une atteinte au droit moral de l’architecte auteur d’un ouvrage public : le juge judiciaire devra être saisi en premier, avant la saisine du juge administratif (TC, 5 septembre 2016, n° 4069).
La possibilité de saisir les juridictions est toutefois enfermée dans un délai de prescription de cinq ans, à partir de la connaissance de l’atteinte. Passé ce délai de cinq ans, vous ne pouvez plus saisir le juge.
En pratique, les procès sont très longs, même en référé. Il est donc conseillé de contacter directement le responsable de l’atteinte pour essayer de trouver un accord amiable. Vous pouvez aussi vous orienter vers des procédures alternatives de règlement des conflits, comme la médiation.
Pour en savoir plus, consultez :
Quid de la démolition de l’œuvre architecturale ?
La démolition de l’œuvre architecturale n’entraîne pas de dénaturation puisque l’œuvre disparaît.
Les juges sont donc moins enclins à réparer le préjudice subi en raison de la démolition d’une œuvre architecturale, surtout si elle a été exposée au public depuis plusieurs dizaines d’années.
Par exemple, en 2016, la Cour d’appel de Paris a jugé que la démolition d’un bâtiment ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit moral de l’architecte sur son œuvre. Les juges ont estimé que le bâtiment, bien que reconnu comme œuvre de l’esprit, pouvait être démoli après un délai suffisant pour sa découverte par le public. Ils ont considéré que la démolition était justifiée par la nécessité de rénover le quartier et de créer de nouveaux logements, sans abus du droit de propriété. La Cour a également jugé que le projet alternatif de conservation du bâtiment proposé par l’architecte n’était pas viable (CA Paris, Pôle 5, 2e ch., 2 décembre 2016, n° 16/04867).
Le maître d’ouvrage peut-il faire tout ce qu’il veut de mon œuvre architecturale ?
Le maître d’ouvrage est le propriétaire matériel du bâtiment, tandis que l’architecte en est le propriétaire immatériel. Ces deux peuvent avoir des objectifs distincts et la jurisprudence a tranché la question en recherchant un équilibre entre les prérogatives découlant du droit d’auteur immatériel et celles découlant du droit de propriété matériel.
Le maître d’ouvrage peut ainsi apporter des modifications à une œuvre architecturale, si elles sont justifiées :
- par des impératifs techniques et fonctionnels (réhabilitation, nouvelles exigences thermiques, mises aux normes, etc.) ;
- et/ou par des besoins nouveaux (démarche écoresponsable, nécessité de remplacer des locaux vétustes, etc.).
Ces modifications doivent cependant toujours être légitimes et proportionnées (Civ 1, 7 janvier 1992, n° 90-17.534 ; CE, 11 septembre 2006, n° 265174).
Quel est l’impact de l’intelligence artificielle sur les droits d’auteur de l’architecte ?
L’intelligence artificielle est un outil de plus en plus présent dans la pratique de l’architecte, qui permet notamment de générer des plans et des projets.
Toutefois, l’architecte reste encore et toujours le seul à finaliser et ajuster le projet architectural. Ainsi, tant qu’il y aura une intervention humaine de votre part, permettant de garantir l’originalité de l’œuvre architecturale, celle-ci sera protégée par le droit d’auteur.
En conclusion, le droit d’auteur et ses prérogatives sont des outils à votre disposition pour faire respecter vos créations et œuvres architecturales originales. Bien compris et utilisé, il vous permet d’être correctement rémunéré et protégé.
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Et n’oubliez pas ! Chaque situation est unique, chaque cas comporte des spécificités qui entraînent une application du droit individualisée. Les informations communiquées sur la plateforme Creatricks sont d’ordre général et ne remplacent pas un conseil personnalisé. En cas de doute, n’hésitez pas à vous rapprocher d’un avocat spécialisé.