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Cession de Droits d’Auteur : Comment se protéger ?

L’importance du contrat de cession de droits d’auteur : illustration avec une affaire ayant opposé une designer free-lance à la société Louis Vuitton Malletier

Par Delphine Roblin
Publié le 21/07/22

Vous êtes artiste, auteur, photographe, graphiste ou designer free-lance et vous réalisez des illustrations, photographies, logos, designs, etc., en contrepartie d’une rémunération. Pour pouvoir les exploiter, votre client souhaite acquérir la pleine et entière propriété de vos créations, y compris vos droits d’auteur. Se pose alors la question de la cession de vos droits. Comment céder vos droits d’auteur ? Comment bien se protéger ? Que faut-il prévoir dans le contrat ? Creatricks vous explique tout ce qu’il faut savoir sur la cession de droits d’auteur. Pour illustrer ces règles un peu rébarbatives, nous vous présentons un exemple concret et réel : dans une décision du 11 mars 2022, la Cour d’appel de Paris a apporté des précisions intéressantes sur le contrat de cession de droits d’auteur. Dans cette affaire, la société Louis Vuitton Malletier a été condamnée à verser plus de 800 000 euros à une designer free-lance, pour avoir exploité ses créations au-delà des droits qui lui avaient été cédés. Explications :

Comment céder les droits sur mes créations ? Un principe : la cession de droits d’auteur ne se présume pas !

La cession des droits d’auteur ne se présume pas. Cela veut dire que pour céder vos droits, vous devez le faire par écrit, de façon claire et précise. L’article L 131-3 du code de la propriété intellectuelle précise que la transmission des droits d’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession. Il faut donc un écrit entre votre client et vous.

La mention « tous droits cédés » sur une facture ne suffit pas. L’acte de cession doit préciser quels droits sont cédés : droits de reproduction et/ou droits de représentation. Le domaine des droits d’exploitation doit être délimité quant à :

  • son étendue : nombre de livres pour l’utilisation d’une photographie, illustration cédée pour un seul numéro d’un magazine pour enfant, etc. ;
  • sa destination : cession d’un motif décoratif pour orner seulement des parures de lit, ou encore des droits d’exploitation à des fins publicitaires ne sont pas implicitement cédés ;
  • le lieu : le territoire doit être délimité (France, Europe, monde entier) ;
  • et la durée : un an, dix ans ou pour la totalité de la durée d’existence des droits (70 ans après la mort de l’auteur).

Cette exigence de précision de tous les droits cédés a pour but de protéger les créateurs. Mais l’application des dispositions de cet article du code de la propriété intellectuelle peut poser des difficultés en pratique.

Pour aller plus loin, consultez notre infographie : Que faut-il mettre dans une clause de cession de droits d'auteur ?

La décision rendue par la Cour d’appel de Paris le 11 mars 2022 nous apporte des éclaircissements intéressants.

Cession de droits d’auteur : l’affaire Mme I. designer free-lance contre la société Louis Vuitton Malletier

Les faits : plusieurs contrats de cession de droits d’auteur

En 1988, Mme I., designer free-lance, assure la conception d’un fermoir « LV tournant » reprenant le logo de la société Louis Vuitton Malletier (LVM). Plusieurs contrats sont signés :

  1. En 1987, les parties signent un contrat de concession de savoir-faire concernant la création de sacs, prévoyant une rémunération fixe et des redevances au taux de 3 % sur le prix de vente hors taxe de chaque sac vendu.
  2. En 1988, un autre contrat est signé pour une collection de bouclerie et une ligne de sacs de voyage, avec une rémunération forfaitaire pour l’exécution des prestations et la cession des droits.
  3. En 1992, un troisième contrat est signé, par lequel LVM souhaitait racheter l’intégralité des droits de propriété intellectuelle attachés aux modèles de sacs concernés et au fermoir « LV tournant ».

Concernant la ligne de sacs, le contrat prévoyait le versement d’une somme forfaitaire en contrepartie de :

  • la cession et du transfert par la designer de l’intégralité des droits cessibles de propriété incorporelle et de jouissance qu’elle détient sur la ligne de sacs, pour le monde entier ;
  • la totalité des droits de reproduction et de de représentation en vue de la fabrication et de la commercialisation de ladite ligne de sacs.

Concernant le fermoir, le contrat prévoyait qu’en cas de réutilisation par LVM du concept de fermeture « LV tournant » sur de nouveaux modèles de sacs de ville ou de voyage et de loisirs, LVM devait verser à la designer le 30e jour du premier mois qui suivra la commercialisation d’un nouveau produit utilisant le LV tournant, une somme correspondant à une rémunération globale forfaitaire pour tous droits.

En 2014, la designer découvre la commercialisation d’une nouvelle gamme de sacs dénommée TWIST utilisant le fameux fermoir « LV tournant ». Elle constate également que le fermoir est aussi utilisé sur d’autres produits, autres que des sacs : des portefeuilles, bracelets, chaussures, ceintures, porte-clés. Des échanges interviennent entre les parties au sujet de la portée de la cession des droits sur le fermoir.

Finalement, la désigner refuse la rémunération proposée par LVM. Elle fait constater par un huissier de justice l’existence de deux gammes de sacs TWIST et GO reprenant son fermoir, ainsi que des modèles de portefeuilles de la gamme TWIST. Et elle engage une action devant le tribunal pour obtenir la nullité de la clause relative à la cession des droits sur le fermoir. Elle sollicite la condamnation de LVM au titre d’actes de contrefaçon liés à l’utilisation du fermoir sur d’autres articles que ceux visés par la convention et sans mentionner le nom de la designer.

Contrat de cession de droits d’auteur : chaque droit cédé doit être précisément mentionné

Que se passe-t-il si vous découvrez une utilisation de votre création qui n’a pas été prévue dans le contrat et qui n’a donc pas fait l’objet d’une rémunération ? Comment la Cour d’appel de Paris a-t-elle interprété les clauses de cession de droits sur le fermoir ?

L’existence d’un contrat de cession de droits d’auteur limite des déconvenues, mais il faut être vigilant sur la rédaction des clauses.

Reprenons le contrat litigieux au sujet du fermoir « LV tournant ». L’article prévoyait qu’en cas de réutilisation par LVM du concept de fermeture « LV tournant » sur de nouveaux modèles de sacs de ville ou de voyage et de loisirs, LVM devait verser à la designer le 30e jour du premier mois qui suivra la commercialisation d’un nouveau produit utilisant le LV tournant, une somme correspondant à une rémunération globale forfaitaire pour tous droits actuels et futurs dudit fermoir.

La designer prétendait que cet article ne visait l’utilisation du fermoir que sur des modèles de sacs de ville ou de sacs de voyage et de loisirs. De son côté, s’appuyant sur les termes « nouveau produit », LVM soutenait que la cession n’était pas limitée à certains produits.

La cour d’appel applique une interprétation stricte des termes du contrat.

En effet, elle considère que la clause du contrat visait uniquement une réutilisation du fermoir sur des sacs de ville ou de voyages et de loisirs et non sur tous produits. Son utilisation pour les portefeuilles, bracelets, ceintures et porte-clés n’était donc pas prévue par le contrat. Dès lors, toute utilisation du fermoir pour tout autre produit, effectuée sans l’accord de la designer, est considérée comme contrefaisante.

Elle relève également que la rémunération forfaitaire versée le 30e jour du premier mois qui suivra la commercialisation d’un nouveau produit doit s’interpréter comme une nouvelle référence ou gamme de sac mise sur le marché, et non chaque référence de la gamme en question.

Conséquence de l’exploitation du fermoir pour de nouvelles lignes de sacs : un complément de rémunération pour la designer

La cour considère que la commercialisation des nouvelles gammes de sacs TWIST et GO, ornées du fermoir litigieux, doivent faire l’objet d’une rémunération complémentaire de Mme I.

Elle condamne donc LVM à payer à la designer un supplément de rémunération pour cette nouvelle exploitation du fermoir « LV tournant », d’un montant de 133 088 euros HT.

Conséquence de l’exploitation des droits d’auteur pour des produits non prévus au contrat : l’indemnisation du créateur

Comment la Cour d’appel de Paris a-t-elle interprété l’utilisation du fermoir sur d’autres produits que des sacs ?

La cour a jugé que la cession des droits sur le fermoir était prévue uniquement sur des modèles de sacs de ville ou de voyages et de loisir. Les portefeuilles, bracelets, chaussures, ceintures et porte-clés n’étaient donc pas inclus.  Elle a alors considéré que LVM avait commis des actes de contrefaçon de droits d’auteur et l’a condamnée à indemniser la designer.

L’article L 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle fixe les critères d’indemnisation de la victime d’actes de contrefaçon.

Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

  1. les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
  2. le préjudice moral causé à cette dernière ;
  3. et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Autrement dit, l’indemnisation doit être plus élevée que le montant que la designer aurait perçu si ses droits avaient été correctement cédés. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

Pour en savoir plus sur le calcul des dommages et intérêts dans les affaires de contrefaçon, consultez notre article dédié !

Dans notre affaire, la designer disposait de peu d’informations sur les quantités de produits contrefaisants commercialisés par LVM, rendant l’évaluation de son préjudice économique difficile. Cependant, la cour a relevé que l’utilisation sur de nombreux produits autres que des sacs, non prévus par les contrats, sans information préalable de la désigner, ni négociation de rémunération pour ces nouvelles utilisations, lui avait causé un préjudice moral certain.

Pour autant, la cour n’a pas retenu l’atteinte à la paternité de l’œuvre (ou droit au nom) de la designer. La cour a considéré que la designer n’était pas créatrice des autres produits mais seulement d’un accessoire et qu’il n’était pas dans les usages professionnels de mentionner le nom du créateur.

La cour a cependant condamné LVM à payer à la designer la somme de 700 000 euros au titre de l’utilisation du fermoir sans autorisation sur des produits autres que des sacs, en réparation de son préjudice moral. Une condamnation au paiement d’un tel montant de dommages et intérêts sur ce fondement est inédite !

Cette décision est une belle illustration de l’application de l’article L 131-3 du code de la propriété intellectuelle, sur le formalisme de la cession des droits d’auteur. C’est aussi une petite victoire pour les designers et créateurs free-lances, qui peuvent obtenir gain de cause, même contre une grande société prestigieuse ! Cette affaire n’est cependant pas encore définitivement jugée. Un pourvoi en cassation est peut-être en cours… Quoi qu’il en soit, ce qui compte c’est de bien négocier vos contrats. La vigilance doit être de mise pour encadrer l’étendue de la cession des droits. Bien rédiger vos contrats de cession de droits d’auteur vous permettra de bénéficier d’une protection optimale et d’éviter des utilisations non autorisées !

Sur le même sujet, écoutez l'épisode de podcast : Comment céder mes droits d'auteur ?

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