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Œuvre créée par plusieurs artistes urbains : qui détient les droits ?

Est-ce que je peux revendiquer des droits d'auteur sur une fresque réalisée collectivement ?
Vrai/faux

Par Delphine Roblin-Lapparra
Publié le 13/04/23

Une œuvre, dès lors qu’elle est originale, est automatiquement protégée par le droit d’auteur, du seul fait de sa création. La protection par les droits d’auteur s’applique à toutes sortes d’œuvres de l’esprit, peu importe le support. C’est donc également le cas de l'art urbain et des œuvres créées sur un mur, y compris dans l’espace public. Mais lorsqu’il s’agit d’une œuvre réalisée par plusieurs artistes, les coauteurs peuvent avoir du mal à situer quels sont leurs droits. Dans le cas d’une fresque peinte à plusieurs mains notamment, dans quelle mesure les différentes contributions à cette œuvre peuvent-elles faire bénéficier d’un droit d’auteur ? Le cas échéant, comment se passe la répartition de ce droit d’auteur avec les autres coauteurs ? Qui détient les droits sur une œuvre créée par plusieurs artistes urbains ? Creatricks vous apporte toutes les réponses à vos questions, sous forme de vrai/faux : ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire.

Comment savoir qui est propriétaire des droits quand l’œuvre a été réalisée à plusieurs ?

Une œuvre à plusieurs mains (comme une fresque) est la propriété des différents coauteurs.

C'est VRAI et c'est FAUX aussi ! Bref, ça dépend...

Lorsque l’on réalise une œuvre collectivement, on pense spontanément au terme « collectif », et donc à l’œuvre collective. Attention, ce mot est trompeur ! En fonction de l’implication et du degré de participation de chaque auteur et selon la façon dont est créée l’œuvre finale, la qualification de l’œuvre n’est pas la même.

La loi distingue différents types d’œuvres créées par plusieurs artistes, impliquant des régimes juridiques différents.

Dans l’hypothèse d’une fresque peinte à plusieurs mains, il peut s’agir d’une « œuvre collective » ou d’une « œuvre de collaboration ». La nuance est importante car ce sont ici des expressions utilisées par la loi, qui ont un sens juridique spécifique.

Une œuvre collective pour un juriste (et donc les juges), c’est une œuvre qui répond aux conditions de la loi pour les œuvres collectives, au sens légal. Et il en va de même pour les œuvres de collaboration. Pourquoi couper les cheveux en quatre comme cela ? Parce que selon que l’on tombe dans l’une ou l’autre catégorie (les juristes aiment bien découper le monde en catégories), ceux qui détiennent les droits ne sont pas les mêmes !

L’œuvre collective

Selon, l’article L113-2, alinéa 3, du Code de la propriété́ intellectuelle :

« Est dite collective l'œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé ».

En d’autres termes, une œuvre collective est réalisée sur l’initiative d’une personne physique (un individu) ou morale (une société, une collectivité), qui se charge de rassembler les différentes contributions. Cette œuvre est ainsi constituée des apports parallèles de plusieurs auteurs, dont les contributions ont été rassemblées et coordonnées par une autre personne.

L'œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée et/ou publiée. Elle seule est titulaire de l’ensemble des droits d’auteur. Les différents contributeurs ne détiennent aucun droit sur l’œuvre.

La qualification d’œuvre collective n’est pas automatique et est soumise à des conditions cumulatives :

  1. L’œuvre doit avoir été créée à l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite ;
  2. L’œuvre doit avoir été conçue sous sa direction ;
  3. L’œuvre doit être publiée et divulguée sous son nom ;
  4. La contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration doit se fondre dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé.

Si on reprend l’exemple de la fresque peinte par plusieurs artistes, l’œuvre est collective si :

  1. Une personne unique est à l’origine de sa création : un artiste, une société, une collectivité locale, un établissement public, etc.
  2. Cette personne dirige les opérations et a un rôle moteur et prépondérant à tous les stades de la création. Elle coordonne les contributeurs et donne des directives précises.
  3. La fresque est signée du seul nom de cette personne.
  4. Les contributions de tous les artistes qui ont participé à l’œuvre finale ne peuvent pas être individuellement identifiées : tous ont participé à l’ensemble.

Si l’une des conditions n’est pas remplie, l’œuvre ne peut être qualifiée d’œuvre collective. En pratique, toutes ces conditions sont souvent difficiles à réunir… Le cas de figure le plus fréquent est l’œuvre de collaboration.

L‘œuvre de collaboration

Elle est définie par l’alinéa 1er de l’article L113-2 du Code de la propriété intellectuelle :

« Est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ».

Il s’agit ici d’une œuvre créée par plusieurs individus. Elle est la propriété commune de tous ses coauteurs : tous ont un droit indivis sur l’ensemble.

Les tribunaux ont déjà eu l’occasion de se prononcer sur la qualification d’une fresque murale. Il a été jugé qu’une fresque réalisée par deux artistes était une œuvre de collaboration et non une œuvre collective au regard du processus créatif spécifique à l’affaire. Les artistes avaient répondu à une commande informelle qui n’a été matérialisée par aucun appel d’offre, ni aucun document écrit. Les conditions de l’« œuvre collective » (au sens de la loi) n’étaient pas remplies. Il s’agissait donc d’une œuvre de collaboration appartenant en copropriété aux deux coauteurs (Cour d'appel, Aix-en-Provence, 8 Décembre 2022 – n° 19/11225).

Pour en savoir plus sur les différents types d’œuvres créées par plusieurs auteurs et sur le vocabulaire juridique du droit d’auteur, consultez notre petit lexique !

Quelles contributions à l’œuvre permettent-elles de générer des droits d’auteur ?

L’apport de ma contribution à une œuvre me permet de revendiquer obligatoirement un droit d’auteur.

Tout comme pour une œuvre classique, la contribution d’un artiste à une œuvre ne sera protégeable par le droit d’auteur que si elle est originale.

En d’autres termes, elle doit porter l’empreinte de la personnalité de l’auteur et révéler des choix libres et créatifs. Il ne doit pas s’agir d’une simple contribution dépourvue de tout choix arbitraire.

C’est ainsi que dans un arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2017 mettant en cause un peintre et un sculpteur, il a été jugé que l’œuvre dont il était question, à savoir une sculpture en bronze doré, ne pouvait pas être qualifiée d’œuvre de collaboration dans la mesure où la preuve de l’apport créatif personnel du sculpteur n’était pas rapportée. Les juges ont considéré que l’œuvre était celle du peintre réalisée avec son accord, à partir d’un dessin qu’il avait conçu (Cour de cassation (1re civ.), 11 mai 2017, n° 16-13.427).

Vous vous demandez ce qu’est l’originalité et les critères de protection par le droit d’auteur ? Vous trouverez toutes les réponses dans notre article :  Est-ce que j’ai des droits d’auteur ? Ou l’originalité au pays des juristes.

Qui peut agir en justice dans le cas d’une œuvre de collaboration ?

Je suis coauteur d’une œuvre de collaboration (par exemple une fresque à plusieurs mains) et ma contribution ne peut être individualisée, je peux agir seul en justice.

Faux Creatricks

La recevabilité de l’action en contrefaçon sur le fondement d’une œuvre de collaboration, propriété commune des auteurs, est subordonnée à la mise en cause de l’ensemble des coauteurs, dès lors que leur contribution ne peut être séparée, quelle que soit la nature des droits d’auteur invoqués par le demandeur à l’action.

Un coauteur d’une telle œuvre ne peut agir seul pour la défense de son droit moral, que si sa contribution peut-être individualisée.

À défaut, il doit, à peine d’irrecevabilité, mettre en cause les autres auteurs de l’œuvre à laquelle il a contribué (Cour d'appel, Paris, Pôle 5, chambre 1, 23 Novembre 2022 – n° 20/10015).

En d’autres termes, deux cas de figure sont possibles :

  1. Un artiste a participé à la création d’une fresque murale collective et sa contribution peut être individualisée. Par exemple, il a peint personnellement un espace délimité de la fresque et c’est cette partie qui a été copiée. Il peut alors agir seul en justice si sa création est copiée par un tiers.
  2. Un artiste a contribué à la réalisation d’une fresque murale avec d’autres artistes, mais son apport ne peut être individualisé. Par exemple, sa contribution personnelle n’est pas identifiable, elle se fond dans la globalité de l’œuvre. Il doit alors faire intervenir les autres auteurs de la fresque dans le procès.

Pour tout savoir sur le procès en contrefaçon, consultez notre infographie !

Est-ce que je peux m’opposer à la destruction d’une œuvre dans un espace public ?

Si mon œuvre située dans un espace public est détruite pour des raisons de sécurité publique, je ne peux pas invoquer une atteinte à mes droits.

Vrai Creatricks

Une fresque est une œuvre incorporée à son support. Dans le cas d’une œuvre réalisée sur un mur situé dans l’espace public, cette œuvre est liée à la situation de ce mur. L’auteur est censé connaître cette situation spécifique.

La destruction d’un mur sur lequel se trouve une fresque peut être ordonnée pour des raisons de conformité. Elle peut être imposée par des considérations de sécurité, notamment par la fréquentation d’enfants en âge scolaire.

Ainsi, il a été jugé qu’une mesure de destruction d’un mur sur lequel était reproduite une fresque, dictée par un souci de sécurité publique, n’était pas fautive et ne pouvait donner lieu à une indemnisation de l’auteur. C’est ce qu’ont jugé récemment les juges aixois (Cour d’appel, Aix-en-Provence, 8 Décembre 2022 – n° 19/11225).

À l’inverse, la destruction d’une œuvre (une sculpture, une mosaïque, etc.) sans aucune justification légitime peut constituer une atteinte au droit moral. De même, l’absence d’entretien d’une œuvre par le propriétaire du support physique peut constituer dans certains cas une atteinte au droit moral de son auteur.

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Et n’oubliez pas ! Chaque situation est unique, chaque cas comporte des spécificités qui entraînent une application du droit individualisée. Les informations communiquées sur la plateforme Creatricks sont d’ordre général et ne remplacent pas un conseil personnalisé. En cas de doute, n’hésitez pas à vous rapprocher d’un avocat.

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