Une affaire judiciaire examinée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 24 novembre 2022 a attiré l’attention de la presse. Et pour cause, elle concerne le reporter le plus connu de tous : Tintin ! Hergé est décédé en 1983, mais ses héritiers, au premier rang desquels son épouse Fanny Rodwell, assurent la protection de l’œuvre de son défunt mari, notamment en agissant en justice contre toute création qu’elle juge contrefaisante. Cette décision nous rappelle que le décès de l’auteur ne signifie pas que ses œuvres ne sont plus protégées. Elles lui survivent et la loi institue des règles précises et parfois complexes afin que le droit moral de l’auteur soit préservé. De quels droits d’auteur parle-t-on dans le cadre de la succession d’un auteur ? Qui a vocation à protéger l’œuvre de l’auteur ? L’auteur a-t-il son mot à dire et des choix à faire pour assurer la pérennité de son œuvre ? « Mille millions de mille sabords ! » comme dirait le célèbre capitaine Haddock, ces questions peuvent paraître complexes mais elles sont essentielles à la protection de votre œuvre. Le maître mot est l’anticipation via l’établissement d’un testament, afin que votre volonté soit préservée.
Nous vous aidons à y voir plus clair…
Succession d’un auteur : de quels droits d’auteur parle-t-on ?
La transmission des droits moraux de l’auteur aux héritiers
Les droits moraux sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles. Il s’agit du droit de divulguer l’œuvre, d’en revendiquer la paternité, d’en défendre l’intégrité et d’en interrompre sa diffusion. Ils sont si intimement liés à la personne de l’auteur que certains d’entre eux s’éteignent en même temps que l’auteur de l’œuvre.
Il en va ainsi du droit de retrait et de repentir. Nul ne peut retirer une œuvre du marché alors que son auteur, de son vivant, avait décidé de la rendre publique.
En revanche, les droits de divulgation, de paternité et de respect de l’œuvre sont transmissibles aux héritiers sans limitation de durée. En cela, l’œuvre de l’auteur est éternelle et sa protection se transmet de génération en génération.
À la mort de l’auteur, le droit moral revient donc à ses héritiers.
La transmission des droits patrimoniaux de l’auteur aux héritiers
Il s’agit du droit de reproduction et du droit de représentation de l’œuvre.
Ces droits appartiennent aux héritiers de l’auteur dès son décès et durant les 70 années qui suivent.
Vous êtes perdu face à tous ces termes juridiques ? Pas de panique : pour bien comprendre ce que sont les droits patrimoniaux et les droits moraux de l’auteur, consultez notre petit lexique !
Succession et droits d’auteur : qui sont les héritiers de l’auteur ?
Transmission des droits d’auteur sans testament
À défaut de mariage de l’auteur :
L’ordre des héritiers est le suivant :
- Les enfants et leurs descendants (sans distinction d’ordre de naissance, de sexe, etc.) ;
- à défaut, les ascendants (père et/ou mère, à défaut les frères et sœurs) ;
- à défaut, les collatéraux (autres que les frères et sœurs, tels que cousins germains, etc.).
On comprend ainsi que si l’auteur a des enfants, ces derniers héritent pour le tout et les ascendants ou collatéraux de l’auteur n’ont pas de droit dans la succession.
Si l’auteur est marié :
La situation est beaucoup plus complexe et diverses situations doivent être envisagées :
- L’auteur décédé n’avait pas d’enfant et plus de père ni de mère : son conjoint hérite de l’intégralité de la succession.
- L’auteur décédé n’avait pas d’enfant mais encore ses parents ou l’un d’eux : la succession est partagée avec son conjoint.
- L’auteur décédé avait un ou des enfants avec son conjoint : ce dernier peut faire le choix d’hériter de l’usufruit de la totalité des biens composant l’actif successoral ou d'un quart des biens en pleine propriété.
- L’auteur décédé avait des enfants issus d’une autre union : le conjoint hérite de la pleine propriété d’un quart des biens et les enfants des trois-quarts.
Sur le même thème, lire aussi : Quelles incidences le divorce ou la séparation ont sur les droits d'auteur ?
Transmission des droits d’auteur en présence d’un testament
L’intérêt d’établir un testament est primordial afin que l’auteur désigne la personne qui sera la mieux à même de protéger sa personnalité ainsi que ses œuvres. Il doit donc s’agir d’une personne proche qui connaît les souhaits de l’auteur et qui est compétente dans le domaine artistique concerné.
Un enfant ou un membre de la famille, quelle que soit l’intensité des liens entretenus avec l’auteur, ne sera pas forcément le mieux placé pour protéger le droit moral.
Il est donc important pour l’auteur d’établir un inventaire de son patrimoine, qu’il soit artistique ou personnel (biens immobiliers, avoirs financiers, etc.).
Une fois cet inventaire réalisé, l’auteur a intérêt à établir son testament en la forme authentique, en prenant rendez-vous avec un notaire ou un avocat spécialisé. Même si le testament olographe (rédigé seul sans l’assistance du notaire et non enregistré au Fichier national des dernières volontés) est juridiquement valable, le testament en la forme authentique établi avec le concours du notaire assure une protection maximale de la volonté de l’auteur et une efficacité juridique de ses décisions.
Bien évidemment, un testament peut être modifié, complété ou remplacé par un autre testament, d’où l’intérêt de dater et signer les testaments.
En droit français, une succession est composée :
- d’une part réservataire pour certains héritiers (enfants ou descendants en cas de prédécès et/ou conjoint survivant) qui ne peuvent pas être déshérités ;
- et d’une quotité disponible qui permet à l’auteur du testament de gratifier n’importe quelle personne, qu’elle soit physique (un individu) ou morale (une association, une société, etc.).
Ainsi, via un testament, un auteur peut attribuer à ses enfants certains biens (biens immobiliers, avoirs financiers, etc.) et réserver ses droits d’auteur à une autre personne qui sera mieux à même de les protéger et de les exploiter.
La personne choisie par l’auteur pour recevoir ses droits d’auteur est appelée légataire. L’auteur peut alors lui léguer l’intégralité de son patrimoine (legs universel), une quote-part de son patrimoine (legs à titre universel) et un bien identifié (legs particulier).
Attention, quel que soit le legs, sa valeur ne doit pas atteindre la part réservataire des héritiers protégés. Si c’est le cas, les héritiers réservataires devront être indemnisés lors du règlement de la succession, au moyen d’une valorisation des biens et des attributions.
Vous l’aurez compris, pour être certain de la protection de vos droits d’auteur après votre décès, il est recommandé d’établir un testament. On vous l’accorde, ce n’est pas très gai, mais ça vaut vraiment le coup !
Et si vous êtes curieux, vous pouvez lire ici la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence dans l’affaire Tintin mentionnée dans l’introduction.
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