Creatricks
Mon espace
Tatoueurs : la TVA et la CFE des artistes s’appliquent-elles ?

De l’œuvre d’art en fiscalité : tatouer n’est pas créer !

Par Alice Baillet
Publié le 22/12/22

En matière d’art, le droit fiscal offre aux artistes des régimes spécifiques d’imposition, qui dérogent favorablement aux règles de droit commun. Les artistes au sens du droit fiscal peuvent notamment bénéficier d’un taux réduit de TVA et être exonérés de CFE. Mais pour profiter de ces régimes particuliers, la création artistique doit correspondre à la définition fiscale de l’œuvre d’art. La question s’est posée pour les tatoueurs : les régimes de TVA et de CFE des artistes s’appliquent-ils aux tatouages ? À plusieurs reprises, le Syndicat national des artistes tatoueurs et des professionnels du tatouage (SNAT) a tenté de faire bénéficier les tatoueurs de certains de ces dispositifs fiscaux, en vain. En 2013, le Conseil d’État a exclu les tatouages des œuvres d’art bénéficiant d’un taux réduit de TVA. Plus récemment, dans une décision du 5 décembre 2022, le Conseil d’État a refusé d’inclure les tatoueurs dans la catégorie des artistes pouvant être exonérés de CFE. Explications :

L’œuvre d’art au sens du droit fiscal

C’est l’article 98 A de l’annexe III au Code général des impôts qui donne la définition fiscale de l’œuvre d’art pouvant bénéficier d’un taux réduit de TVA.

Le Code général des impôts ne définit pas l’œuvre d’art à proprement parler. Il se cantonne à dresser un inventaire à la Prévert, de ce qui constitue une œuvre d’art. A contrario, ce qui ne rentre pas dans la liste ne serait pas une œuvre d’art.

Ainsi, entrent dans la définition de l’œuvre d’art en droit fiscal :

  • les tableaux, peintures, dessins, aquarelles, gouaches, pastels, monotypes, entièrement exécutés de la main de l’artiste ;
  • les gravures, estampes et lithographies, tirées en nombre limité directement de planches entièrement exécutées à la main par l’artiste ;
  • les productions en toutes matières de l’art statuaire ou de la sculpture et assemblages, dès lors que ces productions et assemblages sont exécutés entièrement de la main de l’artiste ;
  • la fonte de sculpture à tirage limité à 8 exemplaires et contrôlé par l’artiste ou ses ayants droit ;
  • la tapisserie faite à la main, sur la base de cartons originaux fournis par l’artiste, limitée à 8 exemplaires ;
  • un exemplaire unique de céramique, entièrement exécuté de la main de l’artiste et signé par lui ;
  • un émail sur cuivre, entièrement exécuté à la main, dans la limite de 8 exemplaires numérotés et comportant la signature de l’artiste ;
  • une photographie prise par l’artiste, tirée par lui ou sous son contrôle, signée et numérotée dans la limite de 30 exemplaires, tous formats et supports confondus.

Sont expressément exclus de la liste des œuvres d’art :

  • les dessins d’architectes, d’ingénieurs et autres dessins industriels, commerciaux, topographiques ou similaires ;
  • les articles manufacturés décorés à la main ;
  • les toiles peintes pour décors de théâtre, fonds d’ateliers ou usages analogues ;
  • les articles de bijouterie, d’orfèvrerie et de joaillerie.

Le régime fiscal des œuvres d’art : les enjeux pour les artistes tatoueurs et professionnels du tatouage

Cette question de la définition de l’œuvre d’art serait anecdotique si elle n’emportait pas des conséquences fiscales favorables pour ceux qui peuvent s’en prévaloir. C’est ce qu’a bien compris le Syndicat national des artistes tatoueurs et des professionnels du tatouage (SNAT) qui a à plusieurs reprises essayé de faire entrer les tatoueurs dans certains dispositifs applicables aux œuvres d’art et par extension aux artistes.

Ces démarches du SNAT sont l’occasion de revenir sur deux dispositifs : le taux réduit de TVA et l’exonération de Cotisation Foncière des Entreprises (CFE).

Les tatouages artistiques bénéficient-ils du taux réduit de TVA des œuvres d’art ?

L’article 278-0 bis, I-3° du CGI prévoit que le taux réduit de 5,5 % s’applique aux ventes d’œuvres d’art effectuées par leur auteur ou ses ayants droit.

Les tatouages ne sont pas considérés comme des œuvres d’art au sens du droit fiscal : pas de taux réduit de TVA

Par une décision du Conseil d’État du 21 octobre 2013 n° 358183, 8e et 3e s.-s., Auville, la plus haute juridiction administrative française a jugé que le tatouage sur peau humaine ne figure pas au nombre des réalisations considérées comme des œuvres d’art, limitativement énumérées par les dispositions du II de l’article 98 A de l’annexe III au CGI.

Un tatoueur sur peau humaine, bien qu’il réalise des œuvres originales exécutées de sa main selon une conception et une exécution personnelle, ne peut pas bénéficier du taux réduit de TVA.

Une réponse ministérielle Viry AN 29035 du 22/12/2020 est venue confirmer que le taux de TVA applicable aux tatoueurs était bien le taux normal de TVA de 20 %.

Si les tatoueurs n’ont pas obtenu gain de cause dans leur contentieux pour bénéficier du taux réduit de TVA, d’autres professionnels ont eu plus de succès :

L’affaire Regards Photographiques

Une décision célèbre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en date du 5 septembre 2019 — C-145/18 — dans l’affaire Regards Photographiques SARL a donné tort à l’administration fiscale française.

Dans cette affaire, la société Regards Photographiques qui exerçait l’activité de photographe estimait pouvoir appliquer la TVA au taux réduit de 5,5 % sur des portraits et des photographies de mariage.

Cette position n’était pas partagée par l’administration fiscale française qui a remis en cause l’application du taux de TVA de 5,5 % pour appliquer à la place le taux normal de TVA de 20 %. En effet, elle estime que seules les photographies dotées d’un caractère artistique, c’est-à-dire faisant état d’une « intention créatrice manifeste de l’auteur » et d’un « intérêt pour tout public » pouvaient bénéficier du taux réduit.

La CJUE, dans sa décision du 5 septembre 2019, juge au contraire que seuls des critères objectifs peuvent être appliqués pour définir si une photographie est éligible au taux réduit de TVA. Elle ajoute que l’administration fiscale française ne peut pas se fonder sur des critères purement subjectifs de la qualité artistique ou non d’une photographie.

À la suite de la décision de la CJUE, le Conseil d’État a finalement donné raison à la société contre l’administration fiscale, par un arrêt du 2 décembre 2019.

Ces affaires démontrent toute l’importance de la définition de l’œuvre d’art pour l’artiste qui vend ses œuvres et doit décider le taux de TVA applicable… s’il est soumis à la TVA bien entendu, ce qui sera l’objet d’un prochain article !

Pour tout comprendre sur la TVA, lisez l'article : TVA : toutes les réponses aux questions des artistes et créateurs

Mais la notion d’œuvre ne se limite pas à la question du taux de TVA applicable. Elle détermine, et c’était le débat dans l’arrêt du Conseil d’État du 5 décembre 2022 évoqué en introduction, le champ d’application de l’exonération de Cotisation Foncière des Entreprises (CFE).

Les tatoueurs peuvent-ils être exonérés de Cotisation Foncière des Entreprises (CFE) en tant qu’artistes ?

Pour ceux qui ne sont pas familiers de la CFE, nous les renvoyons à nos explications dans notre petit lexique de charabia juridique : la fiscalité.

Quels artistes peuvent être exonérés de CFE ?

La CFE est un impôt direct local, dont certains artistes peuvent être exonérés. En effet, l’article 1460 du CGI liste limitativement les artistes pouvant prétendre à une exonération de CFE, à savoir :

  • les peintres, sculpteurs, graveurs et dessinateurs considérés comme artistes et ne vendant que le produit de leur art ;
  • les photographes auteurs, pour leur activité relative à la réalisation de prises de vues et à la cession de leurs œuvres d’art et portant sur leurs œuvres photographiques ;
  • les auteurs et compositeurs ;
  • les artistes lyriques et dramatiques.

L’administration fiscale a publié son interprétation de ce texte dans le bulletin officiel des impôts sous la référence BOI-IF-CFE-10-30-10-60 aux paragraphes 170 à 440.

Les tatoueurs ne sont pas considérés comme des artistes pouvant être exonérés de CFE

Dans l’affaire soumise au Conseil d’État 8e - 3e chambres réunies, le 5 décembre 2022, n° 467864, le SNAT a demandé l’abrogation desdits commentaires et a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité au motif que l’article 1460 du CGI porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et plus particulièrement au principe d’égalité devant l’impôt.

Le Conseil d’État ne partage pas la position du SNAT et estime que la situation des tatoueurs est différente de celle des artistes visés à l’article 1460 du CGI. En effet, les tatoueurs ne réalisent pas des objets cessibles, mais une prestation de service et ils ne vendent donc pas le produit de leur art.

Ainsi, les tatoueurs sont de nouveau exclus des régimes fiscaux spécifiques conférés aux artistes et créateurs d’œuvres d’art.

S’il semble désormais acquis que tatouer n’est pas créer au sens fiscal du terme, les sujets de contentieux sur les contours de la notion d’œuvre d’art en fiscalité ne semblent pas encore épuisés !

Logo K Creatricks jaune

Pour plus de tricks, astuces et informations pratiques sur les droits des créateurs, artistes et auteurs, rejoignez gratuitement la communauté Creatricks !

Et n’oubliez pas ! Chaque situation est unique, chaque cas comporte des spécificités qui entraînent une application du droit individualisée. Les informations communiquées sur la plateforme Creatricks sont d’ordre général et ne remplacent pas un conseil personnalisé. En cas de doute, n’hésitez pas à vous rapprocher d’un avocat spécialisé.

Articles liés

Creatricks
crossmenu