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Art Numérique et NFT : quelle fiscalité ?

Protection de l’art numérique : vers une définition fiscale des NFT ?

Par Alice Baillet
Publié le 16/02/23

Une proposition de loi a été déposée le 18 janvier 2023 au Sénat, visant à promouvoir l’art numérique et à protéger les nouvelles formes de création artistique. Cette proposition consiste à modifier le Code général des impôts (« CGI ») et à faire de la fiscalité un outil de protection de l’art numérique. À l’appui de ce texte, les sénateurs soulignent l’émergence de l’art numérique et son développement important ces dernières années. Ils constatent qu’au plan fiscal, l’art numérique ne bénéficie pas du même traitement que les autres formes de création artistique. Par exemple, il est exclu des dispositifs fiscaux de soutien à la création, tels que le mécénat. Les sénateurs relèvent également la spécificité de cette forme d’art, qui suppose de revoir la manière de valoriser les œuvres numériques. Cela soulève la question de la certification des fichiers contenant les œuvres et donc de la définition des NFT. Ce projet de loi sur l’art numérique et les NFT annonce une réforme attendue, tant par les artistes que par les fiscalistes. Creatricks vous explique tout.

Art numérique et NFT : explication des termes clés

Avant d’entrer dans le vif du sujet, jetons un coup d’œil à certains termes utilisés dans cet article :

Qu’est-ce qu’un bien fongible et un bien non fongible ?

Des choses sont fongibles lorsqu’elles ont la même valeur et sont interchangeables. Elles sont désignées par leur espèce et leur quantité, par exemple, 3 litres d’eau, 1 tonne de blé, 1 000 euros.

À l’inverse, les choses non fongibles ne sont pas interchangeables, elles ne peuvent pas être remplacées par une chose de même nature. Par exemple, on achète une maison en particulier, pas n’importe quelle maison, c’est un bien non fongible. Une œuvre d’art est aussi un bien non fongible.

Qu’est-ce qu’un NFT ?

Les NFT « non fungible tokens » en anglais, que l’on peut traduire par jetons non fongibles ou JNF en français, sont des données numériques stockées dans une bibliothèque numérique appelée blockchain. Ces NFT sont des certificats d’authenticité, car grâce à un système de cryptographie, chaque jeton est unique, non interchangeable et non modifiable. Ce sont aussi des titres de propriété puisque le propriétaire de chaque jeton est identifiable.

En matière d’art numérique, les NFT servent aux artistes à certifier l’authenticité de leurs œuvres et à les exploiter en en transférant la propriété. 

Sur le même thème, vous pouvez écouter l’interview de William Fauchoux, qui explique comment utiliser la blockchain pour dater vos créations.

Qu’est-ce qu’un actif numérique ?

Un actif numérique est un bien immatériel et incorporel composé de données numériques, incluant un droit de propriété et d’usage. Cet actif fait partie du patrimoine de son propriétaire et a une valeur financière.

Il existe plusieurs sortes d’actifs numériques, par exemple :

  • les cryptomonnaies, comme le Bitcoin ;
  • les documents numériques tels que les logiciels ;
  • les contenus multimédias (images, sons, vidéos, etc.).

Si vous êtes un peu perdu face aux termes de la fiscalité, consultez notre petit lexique dédié.

Vers une définition fiscale des NFT ?

La proposition de loi du 18 janvier 2023 a pour but la protection et la promotion de l’art numérique. Les sénateurs posent en effet le constat suivant : afin de valoriser et de protéger leurs œuvres numériques, les artistes s’appuient sur le développement des NFT.

Pour favoriser le développement de l’art numérique, il apparaît donc nécessaire aux sénateurs d’encadrer et de faciliter l’utilisation de ces NFT. Ils invoquent la proposition n° 8 du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique pour conclure à la nécessité d’appliquer aux NFT le régime fiscal des actifs numériques défini par l’article 150 VH bis du CGI (rapport de la mission sur les jetons non fongibles du 12 juillet 2022).

De quoi parle l’article 150 VH bis du CGI ?

L’article 150 VH bis du CGI a été introduit par la loi de finances pour 2019. Il a pour but de donner un cadre à l’imposition sur le revenu et aux prélèvements sociaux des gains réalisés à titre occasionnel par les particuliers lors de la cession d’actifs numériques (voir explication ci-dessus : cession de Bitcoins, etc.).

Ce dispositif tient compte de la fréquence des échanges susceptibles d’intervenir entre actifs numériques, pour n’imposer que les ventes d’actifs numériques (en contrepartie d’une monnaie ayant cours légal) ou les échanges d’actifs numériques contre l’obtention de tout service, bien ou avantage. Les échanges d’actifs numériques entre eux ne sont pas imposés.

Par ailleurs, cet article du CGI instaure un seuil d’exonération à 305 € par année d’imposition.

Les plus-values sont taxées au taux global de 30 % : 12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu et 17,2 % au titre des prélèvements sociaux.

Ce régime suppose cependant que le vendeur agisse à titre occasionnel et non dans le cadre d’une activité professionnelle.

Ce que la proposition de loi du 18 janvier 2023 changerait pour les NFT :

L’article 3 de la proposition de loi propose d’insérer un nouvel article 150 VH ter dans le CGI qui disposerait que :

« I.  Les plus-values réalisées par les personnes physiques domiciliées fiscalement en France au sens de l’article 4 B, directement ou par personne interposée, lors d’une cession à titre onéreux de jetons non fongibles, tels que définis au II du présent article, sont imposées dans les conditions prévues à l’article 150 VH bis.

Les plus-values mentionnées au premier alinéa du présent I sont imposées selon le régime fiscal applicable au sous-jacent des jetons non fongibles faisant l’objet de la cession à titre onéreux.

II. Un jeton non fongible est considéré, au titre du présent article et à l’exclusion des jetons considérés comme des actifs numériques au sens de l’article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier, comme tout bien incorporel et non fongible représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien. »

Vous n’avez rien compris ? Ne vous inquiétez pas, on vous explique tout :

Régime fiscal des NFT

Le régime fiscal des NFT serait aligné sur celui des actifs numériques. Les plus-values réalisées lors de la cession de NFT seraient imposées dans les mêmes conditions.

Le texte apporte une précision importante : le régime fiscal applicable est celui du sous-jacent des NFT. Qu’est-ce que cela signifie ? Le sous-jacent est le bien représenté par le NFT. Si le sous-jacent du NFT est une œuvre d’art, on applique sur le prix de vente une imposition totale de 6,5 % (6 % de taxe sur les objets précieux des articles 150 VI à 150 VM du Code général des impôts et 0,5 % de CRDS de l’article 1600-0 I du CGI).

Un cadre légal serait le bienvenu, car à l’heure actuelle, le régime fiscal de ces plus-values est incertain. Il n’a pas fait l’objet d’une précision de la part de l’administration fiscale, malgré les questions écrites posées par des parlementaires (question écrite n° 22200 de M. Jérôme Bascher publiée dans le JO Sénat du 15/04/2021, page 2459 et question écrite n° 43760 de Mme Véronique Louwagie publiée au JO AN le 25/01/2022, p.450).

Définition fiscale des NFT

Par ailleurs, si la proposition de loi est adoptée, l’article 150 VH ter II du CGI donnerait une définition fiscale du NFT, pour l’application du régime des plus-values. Un jeton non fongible serait donc :

  1. un bien incorporel et non fongible sous forme numérique ;
  2. représentant un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés ;
  3. au moyen d’un dispositif électronique partagé ;
  4. permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire du bien.

Pour autant, il ne s’agit ici que d’une définition fiscale des NFT. Le rapport de la mission sur les jetons non fongibles du 12 juillet 2022 appelle à une définition plus large : « À un horizon de long terme, si le besoin s’en fait toujours ressentir, procéder à une qualification législative définitive des JNF pourrait être souhaitable, en fonction de leurs cas d’usages persistants ».

Cette question des NFT n’est cependant pas nouvelle : un amendement avait déjà été déposé dans le cadre de l’examen du projet de loi de Finances pour 2022, adopté par la Commission des Finances de l’Assemblée nationale. Il n’avait finalement pas prospéré, le Gouvernement ayant émis le souhait de se laisser le temps de la réflexion sur le sujet des NFT.

Or, l’article 3 de la proposition de loi est identique à cet amendement. Reste à voir si l’insertion de cet article dans un projet de loi dédié à la fiscalité des arts numériques connaîtra un accueil plus favorable du Gouvernement. Entre-temps, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a remis son rapport sur les NFT et la proposition n° 8 devrait être un argument de poids supplémentaire.

Une proposition de loi en soutien à l’art numérique

Cette proposition permettrait à l’art numérique de bénéficier des mêmes avantages fiscaux que les autres types d’œuvres, en matière de mécénat et d’achat d’œuvres d’art.

Dispositif du mécénat

L’article 1er de la proposition de loi élargit le champ des œuvres d’art éligibles aux dispositifs de mécénat prévus aux articles 200 et 238 bis du Code général des impôts, pour y inclure l’art numérique. L’objectif poursuivi est d’encourager aussi bien les particuliers que les entreprises à financer de telles œuvres.

L’article 200 du CGI concerne le mécénat des particuliers et l’article 238 bis, celui des entreprises.

Dès lors que l’organisme qui reçoit le don répond à des critères définis aux articles précités, le don qu’il reçoit ouvre droit, pour le donateur, à une réduction d’impôt.

Si le donateur est un particulier, il aura droit à une réduction d’impôt égale à :

  • soit 66 % des sommes versées dans la limite de 20 % du revenu imposable ;
  • soit de 75 % des sommes versées (dans une certaine limite redéfinie annuellement) pour les versements effectués au profit d’associations venant en aide aux personnes en difficulté.

Si le donateur est une entreprise assujettie à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés, la réduction d’impôt est égale à 60 % des sommes versées (pour la fraction inférieure à 2 millions d’euros, 40 % au-delà) dans la limite de 20 000 € ou de 5 ‰ du chiffre d’affaires hors taxes.

L’objectif de la proposition de loi est ainsi de faire bénéficier du dispositif du mécénat les organismes présentant au public des œuvres d’art numérique.

Déduction fiscale pour l’achat d’œuvres d’art

Nous avons déjà eu l’occasion d’expliquer l’incitatif fiscal applicable aux acquisitions d’œuvres d’art, codifié à l’article 238 bis AB du Code général des impôts. Ce dispositif devait s’achever au 31 décembre 2022, mais il a été prorogé jusqu’au 31 décembre 2025 par la loi de finances pour 2023.

L’article 2 de la proposition de loi souhaite élargir aux œuvres d’art numérique ce dispositif de déduction fiscale pour l’acquisition d’œuvres originales d’artistes vivants. Il suggère aussi d’y inclure la location d’œuvres, afin de s’adapter au mieux aux modes de diffusion de l’art numérique.

Cet article propose également de proroger le dispositif jusqu’au 31 décembre 2027, au lieu de 2025 comme rappelé plus haut.

En conclusion, il conviendra de suivre avec attention le sort législatif qui sera réservé à cette proposition de loi qui vient d’être déposée. Mais il faudra être patient, car les débats et différents votes s’étaleront sur plusieurs mois.

Si elle devait être adoptée, cette proposition de loi aurait le mérite de clarifier le régime fiscal des NFT. Mais elle ne suffit pas à elle seule à répondre aux 20 propositions formulées dans le rapport du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Cet argument sera peut-être brandi dans les débats afin de préférer à cette proposition de loi fiscale, qui ne répond finalement qu’à la proposition n° 8 dudit rapport, une proposition de loi plus globale sur le sujet des NFT et ses incidences sur l’art numérique et les différentes branches du droit.

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