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Le droit européen au secours de la rémunération des auteurs !

De nouvelles règles favorables aux auteurs entrent en vigueur

Par Pierre Massot
Publié le 09/12/21

Vous avez peut-être entendu parlé de la directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique du 17 avril 2019 ? Ce texte très important est en effet venu imposer de nouvelles obligations aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne (comprenez YouTube, Facebook, etc.). Ce texte a suscité et suscite encore beaucoup de débats ! Mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’il crée aussi de nouvelles règles afin de permettre aux auteurs de percevoir une meilleure rémunération de l’exploitation de leurs œuvres. Cette directive droit d'auteur a été transposée en France via une ordonnance du 12 mai 2021. Cette ordonnance a modifié le Code de la propriété intellectuelle sur trois points importants pour les créateurs :

1. Une obligation généralisée de transparence au bénéfice des auteurs

Le nouveau texte applicable

Cette directive européenne a tout d’abord été transposée en modifiant l’article L. 131-5-1 du code de la propriété intellectuelle, qui sera applicable aux contrats en cours à compter du 7 juin 2022. Le nouvelle article prévoit que :

« Lorsque l'auteur a transmis tout ou partie de ses droits d'exploitation, le cessionnaire lui adresse ou met à sa disposition par un procédé de communication électronique, au moins une fois par an, des informations explicites et transparentes sur l'ensemble des revenus générés par l'exploitation de l'œuvre, en distinguant les différents modes d'exploitation et la rémunération due pour chaque mode d'exploitation, (…) ».

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Eh bien, tout simplement que le cessionnaire de droits d’auteur (celui à qui vous avez cédé vos droits d’auteur) devra adresser à l’auteur, au moins une fois par an, des informations explicites et transparentes sur l'ensemble des revenus générés par l'exploitation de l'œuvre. Il devra distinguer les différents modes d'exploitation et la rémunération due pour chaque mode d'exploitation.

Les conditions de cette reddition des comptes, en particulier sa fréquence et le délai, pourront être précisées par un accord professionnel conclu dans les conditions prévues par la loi pour chaque secteur d'activité. Cet accord pourra également prévoir des conditions particulières de reddition des comptes pour les auteurs dont la contribution n'est pas significative. Il faut donc surveiller, dans chaque secteur, si des accords professionnels vont être ou non mis en place.

En l'absence d'accord professionnel applicable, le contrat devra directement préciser les modalités et la date de la reddition des comptes.

Attention, ces dispositions ne sont pas applicables aux auteurs de logiciels.

Cette obligation de transparence généralisée au profit des auteurs (si l’on excepte toutefois les auteurs de logiciels qui ont été mis à part), est une petite révolution car jusqu’à présent, l’obligation de reddition de compte n’existait que dans certains types de contrats.

2. La possibilité pour l’auteur de demander une rémunération supplémentaire s’il n’a pas été assez rémunéré au départ

Les anciennes règles

Jusqu’à récemment, la loi française donnait la possibilité au créateur de demander la révision à la hausse du prix en cas de préjudice de plus de 7/12ème dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l'œuvre. Ce dispositif était toutefois limité aux cessions faites contre un prix forfaitaire. Et il était en plus rarement appliqué en pratique.

Par exemple, dans l’affaire « Bouygues Telecom », la demande de révision formée par les auteurs de la fameuse musique Bouygues avait été rejetée. Les juges ont estimé que l'œuvre musicale, d'une durée de quelques secondes, n'était utilisée que de façon accessoire comme identifiant sonore pour son réseau de téléphonie mobile. Ils ont ajouté que cette utilisation n'engendrait aucun produit au profit de Bouygues Telecom. Les juges en avaient déduit que le forfait en contrepartie duquel l'œuvre avait été cédée n'était pas soumis à révision à défaut de remplir les conditions requises par l'article L. 131-5 CPI. (Cass. Civ. 1, 14 juin 2007). Il faut dire que dans cette affaire, les auteurs avaient perçu une rémunération que l’on pouvait considérer à l’époque de non négligeable (298 000 francs au titre de la création et de la réalisation de l'œuvre et forfait de 50 000 francs par année d'exploitation).

Ce qui change avec la directive droit d’auteur de 2019

À la suite de la directive européenne de 2019, le législateur français a renforcé le droit des auteurs de solliciter la révision du prix des cessions. Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 12 mai 2021, le nouvel article L.131-5 CPI complète en effet le dispositif de la manière suivante (les nouvelles règles, écrites dans un jargon juridique certes peu digeste mais qu’il vaut la peine de lire pour connaître ses droits, apparaissent en couleur):

« I.-En cas de cession du droit d'exploitation, lorsque l'auteur a subi un préjudice de plus de sept douzièmes dû à une lésion ou à une prévision insuffisante des produits de l'œuvre, il peut provoquer la révision des conditions de prix du contrat.

Cette demande ne peut être formée que dans le cas où l'œuvre a été cédée moyennant une rémunération forfaitaire.

La lésion est appréciée en considération de l'ensemble de l'exploitation par le cessionnaire des œuvres de l'auteur qui se prétend lésé.

II.- L'auteur a droit à une rémunération supplémentaire lorsque la rémunération proportionnelle initialement prévue dans le contrat d'exploitation se révèle exagérément faible par rapport à l'ensemble des revenus ultérieurement tirés de l'exploitation par le cessionnaire. Afin d'évaluer la situation de l'auteur, il peut être tenu compte de sa contribution.

III. - Les I et II sont applicables en l'absence de disposition particulière prévoyant un mécanisme comparable dans le contrat d'exploitation ou dans un accord professionel applicable dans le secteur d'activité.

La demande de révision est faite par l'auteur ou toute personne spécialement mandatée par lui à cet effet.

IV.- Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux auteurs de logiciels ».

Ainsi, désormais, tout auteur a droit à une rémunération supplémentaire lorsque la rémunération initialement prévue dans le contrat d'exploitation se révèle exagérément faible par rapport à l'ensemble des revenus ultérieurement tirés de l'exploitation par le cessionnaire. Et ce y compris lorsque la cession prévoit une rémunération proportionnelle.

Ces dispositions s’appliquent sauf si un mécanisme comparable est prévu directement dans le contrat d'exploitation ou dans un accord professionnel applicable dans le secteur d'activité considéré.

Ces dispositions ne sont pas applicables, là encore, aux auteurs de logiciels. Décidément, ce sont les parents pauvres de la réforme !

Couplée à l’obligation de transparence qui entrera prochainement en vigueur (cf. point 1), ces nouveaux textes devraient permettre aux créateurs de rééquilibrer la situation si leurs œuvres viennent à générer des revenus importants. Et cela paraît effectivement être un minimum de justice !

Écoutez notre épisode de podcast #7 : le témoignage d'une artiste plasticienne et street artiste sur les difficultés rencontrées par les artistes pour obtenir une juste rémunération.

3. La possibilité pour l’auteur de demander la résiliation de la cession en l’absence d’exploitation de son œuvre

Enfin, conformément au droit européen, le législateur français a ajouté un article L 131-5-2 du code de la propriété intellectuelle qui prévoit que (nous reproduisons le texte dans son intégralité pour ceux qui aiment les textes juridiques mais vous pouvez aller directement au résumé ci-après si vous avez développé une allergie bien justifiée à ces textes rédigés dans un langage technocratique qui ferait se retourner dans leur tombe les rédacteurs du Code Napoléon) :

«I.- Lorsque l'auteur a transmis à titre exclusif tout ou partie de ses droits, il peut, en l'absence de toute exploitation de son œuvre, résilier de plein droit la transmission de tout ou partie de ces droits.

II.- Les modalités d'exercice du droit de résiliation mentionné au I sont définies par voie d'accord professionnel conclu entre, d'une part, les organismes professionnels d'auteurs ou les organismes de gestion collective mentionnés au titre II du livre III du présent code et, d'autre part, les organisations représentatives des cessionnaires du secteur concerné.

Cet accord définit le délai à partir duquel l'auteur peut exercer le droit de résiliation.

III.- Tout accord mentionné au II peut être étendu à l'ensemble des intéressés par arrêté du ministre chargé de la culture.

À défaut d'accord dans un délai de douze mois à compter de la publication de l'ordonnance n° 2021-580 du 12 mai 2021 les modalités d'exercice du droit de résiliation sont fixées par décret en Conseil d'État.

Lorsqu'un accord est conclu après la publication de ce décret, les dispositions de celui-ci cessent de produire leurs effets à la date de l'entrée en vigueur de l'arrêté rendant obligatoire l'accord à l'ensemble du secteur.

IV.- Lorsqu'une œuvre comporte les contributions de plusieurs auteurs, ceux-ci exercent le droit de résiliation mentionné au I d'un commun accord.

En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer.

V.- Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux auteurs de logiciels et aux auteurs d'une œuvre audiovisuelle.

VI. ‒ Ces dispositions sont sans préjudice d'autres dispositions prévues par le présent code, notamment l'article L.132-17-2 ».

Quèsaco ?!!

Eh bien, tout simplement que désormais, lorsque l’auteur a transmis à titre exclusif tout ou partie de ses droits, il peut, en l'absence de toute exploitation de son œuvre, résilier de plein droit la transmission de tout ou partie de ces droits.

Et que pour les modalités (la façon concrète d’exercer ce droit de résiliation), il faut regarder les éventuels accords professionnels conclus dans le secteur considéré. À défaut d'accord professionnel dans un délai de douze mois à compter de la publication de l'ordonnance du 12 mai 2021, les modalités d'exercice du droit de résiliation seront fixées par décret en Conseil d'État.

Il faut donc attendre encore un peu pour connaître la manière dont ce droit de résiliation pourra être exercé en pratique, mais cela ne devrait pas trop tarder car nous serons en principe fixés fin du premier semestre 2022 (si le législateur fait son travail).

À nouveau, ces dispositions ne sont pas applicables aux auteurs de logiciels, ni aux auteurs d’œuvres audiovisuelles.

Bien que l’on entende souvent uniquement les critiques formulées contre l’Union européenne, force est de constater qu’elle a fait bouger les lignes en faveur des auteurs. Il appartiendra désormais aux juges français de faire respecter ces nouvelles règles, et aux auteurs de solliciter les rééquilibrages nécessaires lorsque cela sera justifié.

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