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Pourquoi les juristes parlent-ils en latin ? Dialogue Creatricks

Pourquoi les juristes utilisent-ils tout le temps des formules latines ?

Par Pierre Massot
Publié le 04/08/22

Dialogue imaginaire sur les manies mystérieuses du monde juridique, entre un jeune juriste au look hipster et un jeune artiste qui accepte de parler de droit pendant plus de cinq minutes. Nos deux protagonistes discutent ici de la drôle d’habitude des juristes, avocats, magistrats, etc. de parler en latin… Pourtant c’est une langue morte ! Et à part les juristes, personne n’y comprend rien… Alors, d’où vient cette pratique ? Pourquoi les juristes parlent-ils en latin ? Voici la réponse de Cicéron junior, interrogé par Léonard junior.  Ou comment essayer de briser la glace et de se comprendre un peu mieux entre juristes et créateurs !

L’artiste (Léonard junior) : Dis-moi Cicéron junior, il y a un truc que je n’ai jamais compris chez vous les juristes, c’est que vous parlez toujours avec des formules latines. C’est quoi ce trip ? Vous la jouez à la mode antique ? En plus, cela fait condescendant et pédant à la fois…

Le juriste (Cicéron junior) : Je te signale que tout le monde utilise des formules latines…

L’artiste (rires) : Alors là, elle est bonne ! Vous êtes vraiment dans une bulle, vous les juristes…

Le juriste : Alea jactat est, Carpe diem, In vino veritas

L’artiste : Et pourquoi pas Vade retro Satanas ?!

Le juriste : Grosso modo

L’artiste : Ça va, ça va… ce que je voulais dire c’est que, vous, vous utilisez des formules latines que personne ne connaît ! Tiens, l’autre jour, je t’entendais parler d’un projet Pro bono. Je suis sûr que peu de personnes comprenaient ce que cela voulait dire.

Le juriste : Comme tu peux t’en douter, je ne parlais pas de Bono, le chanteur de U2… Cela veut dire Pour le bien

L’artiste : Ce que tu peux être pédant !

Le juriste : Pour être honnête, je ne connaissais pas vraiment l’expression avant… de connaître des juristes ! C’est toujours comme cela, une fois qu’on entend quelque chose, le lendemain on a l’impression que c’est connu de tous et on fait semblant d’avoir toujours su ce que l’on sait depuis seulement hier… D’ailleurs, ce sont surtout les juristes anglo-saxons qui utilisent l’expression Pro bono, on l’entend donc dans les séries américaines aussi…

L’artiste : Attends, comme je savais que tu allais être de mauvaise foi – comme les juristes en général, je suis allé me renseigner. Il y a une page Wikipedia qui recense les formules que vous utilisez habituellement : Intuitu personæ, Prorata temporis, l’Usus et le Fructus, etc.

Le juriste : « habituellement » … t’as pas l’impression d’exagérer ?

Vous ne comprenez rien au charabia juridique ? Ça tombe bien, on a publié pour vous des petits lexiques :

L’artiste (ironique sur un ton ampoulé et affecté) : Maaaîîître, avez-vous reçu mon mandat ad litem pour engager cette procédure afin de solliciter mon damnum emergens et mon pretium doloris ?! Mais, attendez, in limine litis, est-ce que la partie adverse pourrait soulever une exception de procédure contra legem ? S’agira-t-il bien d’une procédure inter partes avec une décision à l’effet erga omnes sans que le juge puisse statuer ultra petita ?!

Le juriste : Oui, je te l’accorde, on utilise parfois ces expressions…

L’artiste : Parfois ! Mais c’est quoi cette manie d’utiliser des expressions latines à tout bout de champ ? C’est pour impressionner les autres comme lorsqu’un paon fait la roue ?! Ou, comme ce mode de séduction ne fait pas fureur, pour montrer que vous faites partie d’une secte ? Sérieusement, pourquoi dire Ad probationem et pas simplement À titre de preuve ?!

Le juriste : On est biberonnés aux formules latines dès l’arrivée à la faculté de droit, et même à l’école du barreau on en utilise encore, tu sais. Le droit français prend en partie ses racines dans le droit romain. Donc les formules latines irriguent notre culture juridique. Les juristes aiment bien la sécurité juridique, et quand ils trouvent une bonne formule qui exprime bien un concept, ils la gardent pendant des années !  

L‘artiste : Et il ne vient à l’idée de personne, chez les juristes, d’évoluer un peu avec son temps !?

Le juriste :  Il y a tout de même une volonté des pouvoirs publics de limiter l’emploi des formules latines, du moins de les traduire et de les expliquer. Des circulaires ont été adoptées dans les années 1970 pour simplifier le vocabulaire judiciaire et les actes d’huissier.

L’artiste : Sans grand succès…

Le juriste : Disons que les vieilles habitudes sont tenaces… Tiens, j’en ai une autre : je lisais l’autre jour, dans le guide pratique pour les étudiants, la maxime Doctus cum libro.

L’artiste (rires) : De mieux en mieux… ! _Optime_ ! comme dirait Monsieur Diafoirus dans Le malade imaginaire ! En fait, vous nous faites du Molière en version XXIe ! D’ailleurs, si ça t’intéresse, le théâtre du Ranelagh en a fait une excellente adaptation récemment, avec de très beaux costumes pour Monsieur Diafoirus et son fils…

Le juriste : Pour être franc, je ne connaissais pas cette expression latine. Je viens d’en retrouver le sens. Doctus cum libro signifie Savant avec un livre. Elle s’utiliserait à propos de ceux qui, incapables de penser par eux-mêmes, étalent une science d'emprunt, et puisent leurs idées dans les ouvrages des autres. C’est marrant, car en fait, la formule donne l’impression que l’on essaye de se faire passer pour savant, tout en critiquant ceux qui le font. Cela ressemblerait bien à une boucle qui ne déplairait pas à Escher !!

L’artiste : C’est inquiétant ton histoire… D’ailleurs, il y a une autre manie qui fait que je me sens toujours mal à l’aise avec les juristes, c’est que vous passez votre temps à couper les cheveux en quatre, à faire des définitions et catégories qui ne correspondent pas au monde réel. Et là non plus, ça n’aide pas pour se comprendre mutuellement... Mais on reparlera de cela plus tard, car, moi, j’ai du boulot qui m’attend.

Le juriste : Oui, moi aussi, j’ai un contrat à revoir... Mais il faudrait qu’on reparle de cela, car pour le coup, je ne suis pas du tout d’accord avec toi !

L’artiste : Je m’en doute ! Salut !

Le juriste : Salut !

[À suivre]

Aucune personne n’est bien sûr visée par ce dialogue totalement fictif bâti sur des préjugés… pas toujours vrais, mais bien tenaces. On espère que cela vous changera de la lecture habituelle des textes juridiques, des discours ampoulés de formules latines, mais aussi des articles de presse parfois juridiquement approximatifs !

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