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L'affaire Cattelan/Druet : qui est l'auteur ? Dialogue Creatricks

Mais qui est l’auteur d’une œuvre d’art conceptuel créée par plusieurs personnes ? L'affaire Cattelan/Druet

Par Pierre Massot
Publié le 27/05/22
, mis à jour le 15/09/2022 

Dialogue imaginaire et improbable entre un jeune juriste au look hipster et un jeune artiste qui accepte de s’intéresser au droit pendant plus de cinq minutes. Ils échangent à propos de la fameuse affaire Maurizio Cattelan / Daniel Druet. Ou de la question de savoir qui est l’auteur d’une œuvre d’art conceptuel, lorsque plusieurs personnes y ont contribué et, surtout, qui a les droits pour l’exploiter ! Une façon originale d’aborder le droit d’auteur, de l’expliquer et de le comprendre !

Le juriste - Cicéron junior : Depuis quelques semaines, le vieux serpent de mer de la dichotomie idée / forme a ressurgi !

L’artiste - Léonard junior : Quoi ?! Mais qu’est-ce que tu racontes ? Il faut toujours que vous, les juristes, vous craniez avec des expressions que personne ne comprend, sauf vous…

Le juriste : C’est pas totalement faux... Tu sais, si tu ne comprends rien aux termes juridiques du droit d'auteur, tu devrais aller jeter un œil au petit lexique publié par Creatricks.

Je voulais simplement parler de l’affaire du sculpteur Daniel Druet, celui connu notamment pour ses sculptures en cire réalisées pour le Musée Grévin. Il revendique être l’auteur exclusif de neuf effigies qu’il a fabriquées pour le célèbre artiste italien Maurizio Cattelan, celui que tout le monde connaît depuis ses fameuses œuvres « America » et « Comedian ».

L’artiste : Ah oui, bien sûr. Et alors, quel est le problème ? Si Daniel Druet a réalisé les sculptures, il est forcément l’auteur !

Le juriste : Pas si simple. Maurizio prétend que c’est lui qui donnait les instructions pour la réalisation des sculptures…

L’artiste : Oui, je vois, ça se corse. Et alors qu’est-ce que dit la loi ?

Le juriste : Pas grand-chose justement. Elle dit que pour avoir des droits d’auteurs, il faut être auteur d’une œuvre de l’esprit, c’est-à-dire d’une création intellectuelle propre à son auteur. Enfin, pour cette dernière partie, ce n’est pas la loi qui le dit mais la jurisprudence…

L’artiste : Qu’est-ce que c’est que ce charabia tautologique ?!

Le juriste : Attends un peu, ce n’est pas tout. La loi (française car bien sûr ce n’est pas partout pareil, sinon ce serait trop simple), la loi, française donc, nous dit, si on schématise un peu, qu’il y a trois types d’œuvres :

  1. Les œuvres individuelles, c’est-à-dire celles réalisées par un seul auteur. Là c’est simple, l’auteur, il n’y en a qu’un. C’est lui qui a les droits, et voilà.
  2. Les œuvres de collaboration, c’est-à-dire celles à la création desquelles ont concouru plusieurs personnes physiques…

L’artiste : Tu peux pas arrêter une seconde avec ces formules pompeuses et parler plus simplement ?! On se croirait au XIXe… D’ailleurs, vous les juristes, français, vous êtes les seuls à avoir gardé le look…

Le juriste : T’exagère pas un peu ?! J’y peux rien moi, c’est les termes de la loi ! Et puis on s’est détendu dans la sphère juridique, depuis pas longtemps c’est vrai, mais quand même… Mais bon tu as peut-être raison. On peut dire simplement qu’une œuvre de collaboration c’est une œuvre qui a été créée par plusieurs auteurs. C’est le cas de créations comme la chaise longue LC4 conçue par Charlotte Perriand, Le Corbusier et Pierre Jeanneret.

La loi, française toujours, nous dit que l’œuvre de collaboration est la propriété commune des co-auteurs. Un peu comme une copropriété si tu veux. On ne peut pas faire grand-chose sans l’accord de tous…

L’artiste : Bon, d’accord, jusque-là, c’est clair. Mais tu ne m’as pas dit qu’il y avait une 3ème catégorie.

Le juriste : Oui, justement, j’allais t’en parler. C’est là où tout se complique. La loi prévoit aussi qu’il y a des œuvres collectives.

L’artiste : Mais c’est quoi la différence entre œuvre collective et œuvre de collaboration ?!! Vous avez le chic pour compliquer les choses, les juristes !!

Le juriste : Mais je te dis que j’y peux rien moi, je ne suis pas rédacteur de la loi ! D’ailleurs, pour information, on se demande si les lois sont encore rédigées par des juristes de nos jours… tellement elles sont mal rédigées… mais bon revenons à nos moutons pour ne pas tout mélanger.

Alors, il y a en effet une 3ème catégorie d’œuvres que sont les œuvres collectives et la loi en donne une définition, accroche-toi bien, tu ne vas pas être déçu, la voici :

« est dite collective l'œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé ».

L’artiste : C’est pire que ce que je pensais… On peut difficilement faire plus sibyllin…

Le juriste : Je t’avais prévenu… Bon, si on décortique un peu, le début n’est pas si difficile.

Il faut :

  • une personne : soit une personne en chair et en os comme toi et moi (les juristes disent « personnes physiques »), soit une entité légale ayant une « personnalité juridique » en vertu d’une fiction juridique (les juristes parlent de « personnes morales », ce sont en général les sociétés, certaines associations ayant la personnalité juridique…),

L’artiste : Ça commence bien, mais jusque-là, je te suis…

Le juriste : Tant mieux si tu me suis ! Donc, je reprends, pour qu’il y ait une œuvre collective au sens juridique, il faut une personne physique ou morale qui :

  1. a pris l’initiative de créer une œuvre (par exemple un employeur qui demande à un salarié de créer quelque chose pour lui, ou un éditeur qui prend l’initiative de créer une encyclopédie) ;
  2. sous sa direction, c’est-à-dire que la personne qui a pris l’initiative de la création doit avoir contrôlé aussi le processus créatif (c’est le cas souvent des employeurs et éditeurs d’encyclopédies pour garder les mêmes exemples) ;
  3. et qui édite, publie et divulgue l’œuvre sous son nom.

Jusque-là, c’est pas sorcier !

L’artiste : Oui, oui, ça va…

Le juriste : C’est la suite qui est plus ésotérique.

L’artiste : Si tu le dis…

Le juriste : Tu ne vas pas être déçu. Voilà, la dernière condition est que la contribution personnelle des auteurs doit se fondre dans l'ensemble en vue duquel l’œuvre est conçue « sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé ».

L’artiste : Je ne voudrais jamais être juriste…

Le juriste : Tu n’as pas tort… Je me suis d’ailleurs toujours demandé ce qui me pousse à aimer décrypter le sens de textes ambigus… C’est comme chercher une vérité mystérieuse…

L’artiste : T’enflamme pas, je ne vois rien d’excitant à ce genre de recherches… Mis à part les juristes, je ne vois pas qui ça fait rêver…

Le juriste : Bon, en l’occurrence, j’avoue que je n’ai jamais percé le mystère… Mais c’est un peu comme la quête du Graal, le fait de ne pas trouver renforce le mystère et donne encore plus envie de chercher… et le pire c’est que Perceval avait le Graal sous les yeux mais n’a pas osé poser de question.  Mais comme Chrétien de Troyes n’a jamais achevé le livre, on n’a jamais su quelle était la signification de tout cela…

L’artiste : C’est pire que ce que je pensais…

Le juriste : Revenons sur terre, tu as raison. J’exagérais un peu tout à l’heure. La dernière condition reste floue mais on peut la cerner en partie. Déjà, si la contribution se fond totalement dans l’ensemble au point où on ne puisse plus la distinguer du tout, on peut dire que la condition est remplie.

Et puis, si on lit ce que disaient les professeurs reconnus au moment où le texte est sorti (en 1957), on comprend que le but du texte était aussi de couvrir le cas des encyclopédies. Les contributions de chacun des divers auteurs sont identifiables mais se fondent quand même dans un tout, à tel point qu’il serait impossible que l’un d’entre eux revendique des droits sur le tout dans lequel ils s’inscrivent !

L’artiste : Tu me laisses sans voix… Du coup, qu’est-ce que ça veut dire pour l’affaire Druet ?

Le juriste : L’affaire a été plaidée le 13 mai 2022, la décision du Tribunal judiciaire de Paris est annoncée pour le 8 juillet 2022.

L’artiste : Je vois que tu ne te mouilles pas trop, typique des juristes…

Le juriste : C’est malin de dire ça ! Bien sûr que je ne me mouille pas, pour ne pas dire n’importe quoi alors que je ne connais pas tous les dessous de l’affaire. Vu que cela a l’air de t’intéresser, tu retrouveras plus les détails dans l’article du Monde et l’article de Konbini, accessibles gratuitement :). Et il y en a des dizaines d’autres, tant l’affaire fait du bruit : dans Libération, Le Quotidien de l’art, etc. !

L’artiste : Et toi qui les a lus ces articles, tu en penses forcément quelque chose ?!!

Le juriste : Écoute, de ce que j’ai pu lire, voici un résumé de l’histoire :

Daniel Druet a travaillé pour Maurizio Cattelan de 1999 à 2006, puis ils se sont brouillés. Selon Cattelan, Druet facturait trop cher. Selon Druet, Cattelan occultait son travail… Les deux versions sont plausibles et correspondent à ce que l’on peut voir fréquemment dans la vie des affaires, surtout pour la deuxième version d’ailleurs…

Et voilà, maintenant qu’ils sont brouillés, Druet revendique des droits d’auteur sur 8 sculptures qu’il estime avoir faites seul : Him, La Nona Ora, Now, etc.

Cattelan prétend bien sûr qu’il est le seul à avoir des droits et qu’il est le seul "maître" de "la création" car il serait  « resté de bout en bout, y compris avec l’exécution des sculptures en cire, ordonnant, contrôlant, habillant et payant toutes les étapes de leur exécution par Daniel Druet », selon son avocat.

Mais Druet réplique que Cattelan est incapable de sculpter et qu’il n’a fait que donner des idées générales, et que le véritable artiste sculpteur, c’est lui !

L’artiste : Je commence à voir le lien avec ce que tu me disais au début sur ton affaire de distinction entre les idées et la forme…

Le juriste : Exactement ! Je vois que tu commences à prendre goût au juridique ! Tu vois que finalement, le droit c’est accessible à tous ! D'ailleurs, tu as sûrement déjà lu l'article de Creatricks sur la protection des idées puisque tu t'intéresses au droit d'auteur ! On en parle aussi dans notre dialogue sur le sujet.

L’artiste : N’exagérons rien… Cela dit, tu ne m’as toujours pas dit ce que tu en pensais… Et en plus je ne vois plus le rapport avec tout ce que tu m’as expliqué au début.

Le juriste : Tu ne lâches rien. Tu as raison. Je reprends.

En fait, il y a deux niveaux :

1/ Les sculptures : c’est là qu’il y a la bataille. Druet prétend avoir seul les droits exclusifs sur les sculptures et Cattelan prétend au contraire que c’est lui qui a les droits… C’est là qu’il y a la bataille entre le concept et la forme. Druet dit que le fait d’avoir sculpté seul lui donne nécessairement la qualité d’auteur exclusif. Cattelan prétend que la qualité d’auteur n’est pas réservée à celui qui tient le burin, que c’est lui qui a fait les choix créatifs et que Druet n’a fait que suivre ses instructions…

L’artiste : Au fond, tout cela n’a rien de bien nouveau. Les artistes de la Renaissance, comme Vinci et bien d’autres, faisaient travailler des collaborateurs pour réaliser leurs œuvres.

Le juriste : Oui, cela a sans doute toujours existé. Cela me fait aussi penser à la peinture de Delacroix à Saint Sulpice, celle de Jacob luttant avec l’Ange qui aurait été faite aussi je crois avec l’aide de Pierre Andrieu. Cela dit, ce qui crée des débats juridiques et l’effervescence dans le milieu, c’est que de nombreux artistes d’art conceptuel sous-traitent la réalisation de parties de leurs œuvres à d’autres artistes et que certains craignent de perdre leur qualité d’auteur, ce qui est peut-être un peu exagéré… Il y a un article publié dans Le Monde qui en parle.

L’artiste : Oui, je vois... et ton second niveau, c’est quoi ?

Le juriste : J’y viens. Donc, je te disais, il y a deux niveaux :

  1. Les sculptures elles-mêmes, dont nous venons de parler.
  2. Et celui des œuvres prises dans leur globalité, avec la scénographie qui les englobe.

Là, il y a moins de débat, car Druet reconnaît apparemment qu’il n’est pas intervenu sur la scénographie.

L’avocat du galeriste, qui se trouve au milieu de la bataille judiciaire, dit quand même que :

« ce ne sont pas les sculptures elles-mêmes qui font l'œuvre, mais c'est la manière dont elles sont mises en scène, détournées ou même brisées qui fait sens. Le pape tel que Daniel Druet l'a façonné et envoyé à Maurizio Cattelan a été ensuite cassé en deux, exposé dans une attitude extrêmement précise, et c'est ce concept qui fait l'œuvre et l'émotion, évidemment pas la statue elle-même. »

Autrement dit, les sculptures ne seraient rien sans la scénographie… Le Point a publié un article qui en parle.

En fait, je crois que c’est un peu plus complexe que cela, car si le sculpteur a fait les choix libres et créatifs pour la sculpture, il est en principe auteur et titulaire des droits sur celle-ci, quand bien même elle s’inscrirait dans une scénographie avec un sens plus global. Donc, à mon sens, et c’est ma modeste opinion de juriste, la question est surtout de savoir si les choix créatifs pour réaliser la sculpture ont été dictés par Cattelan ou si Druet avait conservé une marge de liberté permettant d’exprimer sa personnalité.

L’artiste : Tu fais bien le modeste ! Et tu oublies de dire quelle serait la conséquence entre les deux possibilités… Ce ne sont même pas les ceintures, bretelles et parachutes, c’est l’absence de saut tout court !

Le juriste : Ça va ! C’est bien une réaction d’artiste !

L’artiste : Bravo pour les préjugés ! On dirait une astuce d’avocat pour ne pas répondre aux questions…

Le juriste : Bon, bon, ne polémiquons pas bêtement ! Voilà, je vais essayer de te répondre, et comprends bien que j’y mets des précautions d’usage, sinon je ne serais pas juriste :

À mon avis, dans la première hypothèse, celle où Druet ne démontrerait pas avoir conservé une marge créative, on se trouverait dans le cas d’une œuvre unique faite par Cattelan. Évidemment, Druet ne pourrait être considéré comme auteur s’il n’a pas fait de choix créatif. C’est une condition nécessaire posée par la jurisprudence européenne et française.

Après, il y aurait la question de savoir si Cattelan serait l’auteur de l’œuvre globale (sculpture + scénographie) ou aussi des sculptures elles-mêmes. C’est plus compliqué déjà. Pour l’œuvre globale, c’est sûr, pour les sculptures, il y a des débats entre les juristes… Mais bon, si Druet n’arrive pas à démontrer qu’il a fait des choix libres et créatifs pour les sculptures qu’il a réalisées, de toute façon, c’est Cattelan qui sera titulaire des droits sur l’œuvre globale et ça c’est sûr !

Dans la deuxième hypothèse, celle où Druet parviendrait à démontrer qu’il a fait des choix libres et créatifs pour concevoir les sculptures en cause, il y aurait potentiellement plusieurs sous-hypothèses :

Si Cattelan démontre seulement avoir fait des choix pour la scénographie, les œuvres prises dans leur globalité (sculptures + scénographies) seraient alors des œuvres de collaboration, mais Druet serait le seul à avoir les droits sur les sculptures seules…

Et si les deux artistes ont fait des choix libres et créatifs pour réaliser les sculptures, on pourrait imaginer que les sculptures elles-mêmes soient des œuvres de collaboration… C’est peut-être ce qu’il y a de plus probable, mais tout dépend bien sûr des pièces et des preuves apportées au Tribunal.

Dans une ancienne et célèbre affaire (célèbre pour les juristes spécialisés en droit d’auteur), la Cour de cassation avait reconnu la qualité de co-auteur à René Guino pour la réalisation de sculptures faites avec Renoir :

« Guino, conservant sa liberté de création, a exécuté chacune des sculptures litigieuses en coopération avec Renoir et a acquis sur celles-ci un droit distinct, les juges du second degré ont, à bon droit, déduit que Guino avait la qualité de coauteur, qui lui conférait nécessairement les attributs du droit moral dont la possession lui est déniée par le pourvoi, et que lesdites sculptures étaient des œuvres de collaboration et non des œuvres collectives. »

(Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 13 novembre 1973, 71-14.469, Publié au bulletin ; voir aussi sur cette affaire un article publié dans Arts et Lettres.)

L’artiste : Et Cattelan, il n’invoque pas l’œuvre collective justement ?

Le juriste : Je n’en sais rien, cela ne ressort pas des articles de presse que j’ai pu lire, mais potentiellement, j’imagine qu’il pourrait essayer.

Mais au final, tout dépendra de savoir si Druet avait une marge d’autonomie, de liberté créative. Si c’est le cas, la qualification d’œuvre collective devrait être écartée au moins au profit de l’œuvre de collaboration comme dans l’affaire Renoir.

On en saura plus le 8 juillet, à moins que le délibéré soit reporté.

L’artiste : Tu peux parler français…

Le juriste : Ce que je veux dire c’est que le tribunal pourrait décider de reporter le rendu de sa décision. On devrait en savoir plus bientôt !

En tout cas, la morale de l’histoire, c’est qu’il vaut mieux conclure des contrats avant de se lancer dans une commande, pour définir qui aura les droits.

L’artiste : Oui, bien sûr, mais c’est plus simple à dire qu’à faire. Le problème c’est qu’on ne peut pas toujours négocier et si c’est pour conclure un contrat où on est forcé de reconnaître qu’on ne sera pas auteur, on peut se demander si c’est pas pire que de ne pas signer de contrat…

Le juriste : Moi je te dis qu’il vaut mieux faire un contrat et le négocier.

L’artiste : Merci du conseil. Parfois, je préfèrerais être juriste, enfin, non, plutôt mourir…

Le juriste : C’est constructif ! Je te reconnais bien là…

Quelques mois plus tard…

L’artiste : Salut Cicéron. Comment ça va ? J’ai vu que Cattelan avait gagné son procès ! C’est donc lui qui a tous les droits et Druet n’a rien ? C’est une victoire pour les artistes-entrepreneurs qui sous-traitent la réalisation de parties de leurs œuvres !

Le juriste : En fait, le tribunal n’a pas exactement dit que Maurizio Cattelan avait tous les droits, il a dit que Daniel Druet était irrecevable à agir.

L’artiste : Je ne comprends rien à ce que tu me racontes. Encore cette nuance byzantine de juriste ! Et de toute façon, qu’est-ce que ça change ?

Le juriste : Effectivement, c’est un peu technique. Laisse-moi t’expliquer ! Selon le jugement du 8 juillet 2022, qui est public, Daniel Druet revendiquait des droits, non pas sur les sculptures qu’on lui avait commandées, mais sur les œuvres finales divulguées, qui intégraient ces sculptures dans une mise en scène faite par Maurizio Cattelan — apparemment ce point n’était pas contesté.

L’artiste : Donc cela veut dire que Daniel Druet, en tant que sculpteur, n’avait aucun droit sur les œuvres intégrant des sculptures qu’il avait faites ?

Le juriste : En fait, le tribunal n’a même pas tranché cette question. Il a considéré que comme Daniel Druet revendiquait des droits sur des œuvres divulguées sous le nom de Maurizio Cattelan et qu’il était l’auteur de leur mise en scène, il fallait mettre ce dernier dans la cause. C’est-à-dire qu’il fallait aussi l’assigner devant le tribunal.

L’artiste : Je n’y comprends rien. Je croyais que Maurizio Cattelan était au procès, justement.

Le juriste : C’est là qu’il y a une subtilité. Daniel Druet n’avait pas directement assigné (attaqué procéduralement si tu préfères) Maurizio Cattelan. Il avait assigné notamment la Galerie Perrotin et la Monnaie de Paris, mais pas Maurizio Cattelan. Ce dernier avait certes été par la suite assigné en garantie par la Monnaie de Paris. Toutefois, le tribunal a estimé que cette intervention forcée en garantie n’avait créé un lien d’instance qu’entre la MONNAIE DE PARIS et Maurizio Cattelan pour des questions contractuelles, mais pas entre Daniel Druet et Maurizio Cattelan.

L’artiste : C’est totalement incompréhensible ton histoire !

Le juriste : J'entends bien que cela ne soit pas facile à comprendre, car le jugement se fonde sur des notions de procédure civile très abstraites, comme le lien d’instance, l’appel en garantie, etc. En fait, ce que dit le tribunal, c’est que Daniel Druet aurait dû attaquer personnellement Maurizio Cattelan, et pas seulement ceux qui exploitaient les œuvres litigieuses en France.

L’artiste : Mais c’est de la pure chicanerie judiciaire, puisque Maurizio Cattelan était au procès !!

Le juriste : Je pense que ce qui a joué en défaveur de Daniel Druet, c’est qu’il revendiquait la qualité d’auteur unique d’une œuvre divulguée sous le nom de Maurizio Cattelan. Le tribunal a expressément relevé que Daniel Druet ne revendiquait pas des droits sur les mises en scène et que pourtant il se prétendait auteur unique et non co-auteur des œuvres…

L’artiste : Oui, sous cet angle-là, cela permet un peu d’expliquer la décision. Et donc le résultat ?

Le juriste : Le tribunal estime que le fait pour Daniel Druet de ne pas avoir assigné directement Maurizio Cattelan, dont il niait la qualité d’auteur, rend ses demandes irrecevables. Attention, techniquement, cela ne veut pas dire que le tribunal a jugé que Daniel Druet n’aurait aucun droit (ou qu’il en aurait). En fait, le tribunal n’est pas allé plus loin que ça. Il a estimé qu’il y avait un problème procédural (qu’on appelle une « fin de non-recevoir » ou une « irrecevabilité »), donc il n’a pas statué sur le fond. La question des droits reste ouverte et finalement cette affaire a accouché d’une souris !

L’artiste : Merci pour toutes tes explications. Je comprends un peu ton histoire procédurale, mais c’est vraiment l’illustration d’une justice technicienne sans pragmatisme, car au fond, tout le monde était là, devant le tribunal, et je ne comprends pas pourquoi dans ce cas le litige n’a pas été tranché complètement ! Mais j’imagine que s’il n’y avait plus de chicanerie judiciaire, il n’y aurait plus d’avocats et de juristes…

Le juriste : C’est vrai que c’est un travers de la procédure que de rendre le droit technique, et en même temps, elle est censée rendre les choses plus prévisibles, parfois plus équitables… Le tribunal a sans doute voulu montrer qu’il y avait des règles procédurales à respecter pour garantir l’exercice des droits de chacun, y compris ceux de Maurizio Cattelan.

L’artiste : Vu ce que j’ai lu dans la presse, j’ai plutôt l’impression qu’il n’avait pas de problème pour se défendre et qu’il avait parmi les meilleurs avocats de la place. Quant à savoir si cette justice est équitable, il me semble qu’on en est loin !

Le juriste : Il faut qu’on en reparle, c’est un débat qui pourrait nous prendre toute la nuit et plus.

L’artiste : Oui, tu as raison. En attendant, cela fait une bonne illustration des pièges qui attendent les auteurs qui souhaitent défendre leurs droits…

Le juriste : Exactement ! Un auteur averti en vaut deux !

Dialogue très très librement inspiré (dans le ton) des dialogues entre Achille et la Tortue dans le génial livre, du génial Douglas Hofstadter « Gödel, Escher, Bach : Les Brins d’une Guirlande Éternelle ». Aucune personne n’est bien sûr visée par ce dialogue totalement fictif, bâti sur des préjugés… pas toujours vrais, mais bien tenaces. On espère que cela vous changera de la lecture habituelle des textes juridiques, des discours ampoulés de formules latines, mais aussi des articles de presse parfois juridiquement approximatifs !

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