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Comment protéger une idée ou un concept ?

Peut-on protéger une idée ou un concept ?

Par Pierre Massot
Publié le 09/12/21

C’est LA question récurrente des créateurs aux spécialistes de propriété intellectuelle ! Et la réponse, décevante pour les inventeurs d’idées originales, est invariablement « NON ». Enfin, non en principe, car il est possible parfois de se protéger, de manière indirecte, dans certaines circonstances. On va tout de suite mettre fin au suspense : le droit d’auteur ne protège pas les idées et les concepts. Mais il est parfois possible d’agir sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire. Comment protéger une idée ou un concept ? Réponse dans cet article détaillé, exemples concrets à l'appui.

Pourquoi les idées et concepts ne sont en principe pas protégeables par le droit d’auteur ?

Tout simplement parce que si l’on protégeait des choses aussi générales que les idées ou les concepts, on créerait des monopoles tellement larges que cela entraverait la liberté du commerce et de l’industrie, la liberté d’expression et la liberté de créer.

Sur le même sujet, lisez notre dialogue : Est-ce que je peux breveter mon idée ?

Le droit d’auteur protège la forme mais pas les idées

L’article 9 des accords ADPIC (l’un des principaux traités internationaux relatifs à la propriété intellectuelle qui lie 164 pays dans le monde) prévoit ainsi notamment que « la protection du droit d'auteur s'étendra aux expressions et non aux idées, procédures, méthodes de fonctionnement ou concepts mathématiques en tant que tels ». Ce principe est encore rappelé à l’article 2 du Traité de l’OMPI du 20 décembre 1996 sur le droit d’auteur. (Pour info : OMPI veut dire Organisation mondiale de la propriété intellectuelle).

Qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Eh bien tout simplement que les idées, les concepts, et tout ce qui est trop abstrait, ne peuvent être protégés par le droit d’auteur. Seules les formes concrètes qui matérialisent ces idées et concepts peuvent l’être. Comme le disait élégamment l’un des plus célèbres juristes français du XXe siècle, Henri Desbois, les idées sont « de libre parcours ». Seule la manière dont a été exprimée l’idée peut être protégée. C’est ce que les juristes appellent, dans leur jargon un peu rebutant, la théorie juridique de la dichotomie des idées et de la forme.  

Ce principe n’a toutefois pas attendu les juristes pour voir le jour. Victor Hugo l’avait déjà exprimé superbement, avec toute la puissance de son verbe : « Le livre, comme livre, appartient à l'auteur, mais comme pensée, il appartient - le mot n'est pas trop vaste - au genre humain ». Dit plus modestement, avec les termes d’un juriste du XXIe siècle, l’auteur peut avoir des droits sur la forme de son œuvre, mais pas sur les idées qu’elle contient, car ces dernières doivent rester dans le domaine public, à la disposition de tous.

Un exemple concret pour mieux comprendre : l’affaire Christo

22 septembre 1985. Le couple d’artistes contemporains - Christo Vladimiroff Javacheff et Jeanne-Claude Denat de Guillebon, communément appelés Christo (qui nous ont quittés il y a peu), dévoilent leur nouvelle œuvre éphémère et gigantesque pour 14 jours. Il s’agit de l’emballage du Pont-Neuf, le plus vieux pont de Paris, avec près de 40 000 mètres carrés de toile de polyamide ignifugée couleur « pierre calcaire dorée », 13 076 mètres de corde, et plus de 12 tonnes de câbles d’acier.

Cette gigantesque métamorphose transforme, de manière éphémère, un pont chargé d’histoire en « objet architectural, d'un objet d'inspiration pour les artistes, un objet d'art tout court », une « sculpture » « éphémère comme un rêve » dixit les deux artistes. En préparation depuis 1976, l’opération a été autofinancée par les deux artistes à hauteur de 19 millions de francs (somme assez considérable à l’époque) et réalisée grâce à l'intervention de 300 professionnels spécialisés (des hommes-grenouilles, des alpinistes, des ingénieurs). L’« empaquetage », terme ayant visiblement la prédilection de l’artiste, rencontre, en dépit de certaines critiques, un vif succès, attirant près de 2 millions de visiteurs.

Le 1er litige

Oui, mais voilà, Christo découvre qu’une société anglaise a filmé le Pont-Neuf en le survolant pour l’intégrer dans une émission télé.

Le 13 mars 1986, la Cour d’appel de Paris considère que l’empaquetage du Pont-Neuf par Christo est bien une œuvre protégeable par le droit d’auteur. En effet, l’œuvre ne se résume pas à une simple idée mais se matérialise au contraire dans une forme concrète avec l’enveloppement spécifique d’un monument particulier, à l’aide de matériaux précis (toile soyeuse tissée en polyamide couleur pierre de l’Ile de France, cordes en propylène mettant en relief la pureté des lignes du Pont Neuf).

Sur cette affaire, (CA Paris, 13 mars 1986, GP 1986, 1, p. 238), voir la publication de François Corone « Droit d'auteur et droit à l'image des biens. Une jurisprudence qui fait du tourisme » et celle de Jacques Larrieu « Les frontières de la propriété : les idées ».   

Le 2e litige

Peu après, Christo découvre qu’une agence de publicité diffuse une campagne publicitaire avec des photos d’ouvrages d’art emballés selon lui à sa façon, pour inciter des collectivités locales à s’en doter. Cette fois, il n’obtient pas gain de cause.

Christo lui reproche d’avoir contrefait son style. En effet, l’empaquetage en tant que tel, lui, n’est pas éphémère dans l’œuvre de Christo : il en a fait un style, une signature, en empaquetant des objets (comme des sculptures empaquetées à Milan, en 1970), des paysages (comme la Wrapped Coast, One Million Square Feet, Little Bay, Sydney, Australie 1968-69) et bien sûr des monuments. En juin 1995, Christo emballe le Reichstag à Berlin d’un tissu argenté, attirant plus de 5 millions de visiteurs en deux semaines. Selon le critique d’art Edward Lucie Smith, la technique de l’empaquetage permet de mieux faire voir les objets ou les bâtiments en « les réduisant à leur essence poétique », ce qui est caractéristique de l’œuvre de Christo et Jeanne-Claude.

Pourtant, cette fois, la justice ne lui donne pas raison. Le Tribunal de grande instance de Paris estime en effet que Christo ne peut prétendre détenir un monopole d’exploitation sur le style de ses emballages, en tant que tel.

Selon les juges, le droit d’auteur « ne protège que des créations d’objets déterminés, individualisés et parfaitement identifiables, et non pas un genre ou une famille de formes qui ne présentent entre elles des caractères communs que parce qu’elles correspondent toutes à un style ou un procédé découlant d’une idée, comme celle d’envelopper des objets qui n’ont pas besoin de tels soins […] ».

Et le Tribunal d’ajouter que le fait que l’artiste ait « conçu un projet d’emballage des arbres d’une avenue célèbre » ne saurait lui permettre de « prétendre à l’accaparement de l’enveloppement de tous les arbres ».

TGI Paris, 26 mai 1987. Voir également le commentaire de Jacques Larrieu : Les frontières de la propriété : les idées, in Qu'en est-il de la propriété ? p. 129-145.

Morale de l’histoire : on peut protéger l’expression d’une idée, c’est-à-dire une forme concrète et précise, mais pas l’idée elle-même.

Pour aller plus loin, consultez notre article L'originalité : le critère de protection par le droit d'auteur.

Le droit d’auteur ne protège pas les idées : quelques exemples concrets 

La jurisprudence française rappelle constamment ces principes.

L'affaire Afflelou

Les faits

Une architecte d'intérieur revendiquait la propriété intellectuelle de l'aménagement-type des magasins d'optique Alain Afflelou, tel que matérialisé dans le cahier des charges des commerçants franchisés sous ce nom. Elle avait alors assigné en contrefaçon Alain Afflelou et plusieurs autres sociétés.

La décision

Dans un arrêt du 17 juin 2003, la Cour de cassation a rappelé que « la propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts, mais seulement la forme originale sous laquelle ils sont exprimés ».

Elle a par ailleurs approuvé la Cour d’appel de Versailles d’avoir rejeté les demandes de l’architecte au motif notamment que « La propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts, mais seulement la forme originale sous laquelle ils sont exprimés ».

Dans cette affaire, « les prescriptions et dessins invoqués se réduisaient à des principes généraux exclusifs d'indications suffisamment concrètes et précises », qui ne permettaient pas une « exécution répétée ».

L'affaire Veilhan / Orlinski

Les faits

En 2013, l’artiste Xavier Veilhan attaque en justice l’artiste star Richard Orlinski pour contrefaçon et parasitisme (article de Blog Richard Orlinski). Il lui reproche notamment la contrefaçon de quatre sculptures :

  • le crocodile qui reproduirait les caractéristiques du Rhinocéros de Veilhan,
  • Wild Kong qui reproduirait les caractéristiques du Monstre de Veilhan,
  • Kong Baril qui reproduirait les caractéristiques du Monstre de Veilhan,
  • Le loup hurlant qui reproduirait celles du Lion.

La décision

Dans son jugement du 21 mars 2014, le Tribunal de grande instance de Paris rejette toutes les demandes de Xavier Veilhan.

Il rappelle tout d’abord que « sont exclues du champ de la protection du droit d’auteur les simples idées, seule leur formalisation dans une forme achevée étant susceptible d’appropriation ». Il en déduit que « Monsieur VEILHAN ne peut donc revendiquer des droits d’auteur sur la création d’animaux facettés en général sauf à revendiquer le monopole d’un genre, lequel préexistait au demeurant à ses créations ».

Pour autant, le Tribunal estime que Veilhan est allé au-delà d’une simple idée et que les 4 créations suivantes sont protégeables par le droit d’auteur :

  • "Le Rhinocéros" (1999) ;
  • “Le lion” bleu (2004) ;
  • “Le lion” (2006) de couleur noire, pour la même raison ;
  • "Le Monstre" (2004).

En particulier, le Tribunal note que le Rhinocéros « se détache des autres bestiaires simplifiés réalisés avec des surfaces lisses et recouverts d’une laque lisse constitués de pingouins, ours, chiens, cerfs, panthère ou encore éléphant du simple fait qu’il s’agit d’un rhinocéros dans une formalisation et une posture particulière librement choisies par l’artiste ».

Faire reconnaître ses droits d’auteur est déjà une première victoire, mais elle n’est pas suffisante pour gagner un procès en contrefaçon. Encore faut-il démontrer l’existence de la contrefaçon elle-même.

À cet égard, le Tribunal souligne que si la contrefaçon s’apprécie selon les ressemblances et non d’après les différences, « elle ne peut toutefois être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d’un genre ou d’un style mais protège une forme particulière qui est l’expression de l’effort créatif de l’auteur et qui se trouve dans une œuvre définie ».

Le Tribunal en déduit que « la reprise alléguée par Monsieur VEILHAN de son concept de bestiaire monochrome dépourvu de socle constitue la revendication d’un monopole sur un genre, lequel n’est pas appropriable au titre du droit d’auteur et ne peut donner prise au grief de contrefaçon ».

De manière didactique, le Tribunal ajoute que pour démontrer la contrefaçon, il appartient à Veilhan de « démontrer la reprise, totale ou partielle, d’éléments caractéristiques portant l’empreinte de sa personnalité ». Et c’est ici que ce dernier achoppe.

Selon le Tribunal, il ressort par exemple de la comparaison du crocodile rouge et du rhinocéros, que « ces animaux ne présentent aucune caractéristique commune, à part la couleur rouge qui est inappropriable, étant précisé que leur survivance à la préhistoire est insusceptible d’appropriation, de même que l’idée de réaliser des animaux sauvages ou encore l’utilisation de la résine et enfin l’absence de socle, qui ne peuvent être monopolisés par un artiste ».

Le Tribunal ajoute que « les postures des animaux ne sont pas comparables ; le Rhinocéros est placide et dépourvu de toute agressivité compte tenu de la simplification de ses détails morphologiques. La nature imposante de l’œuvre accentue l’immobilisme qui s’en dégage tandis que le crocodile est en mouvement, gueule ouverte, en appui sur ses pattes en extension, dans une attitude agressive ».

Et le Tribunal enfonce le clou en soulignant que « l’œuvre de Monsieur VEILHAN est marquée par son absence d’expression résultant de la soustraction de tous détails, l’animal n’étant présenté que grâce à sa forme générale alors qu’au contraire le crocodile d’Orlinski met en avant ses crocs, ses yeux et les aspérités de sa peau ».

L'affaire Cathédrale d’images

Les faits

En 1975, Albert Plécy découvre les fabuleuses carrières des Grands-Fonds, anciennes carrières d'extraction de pierres désaffectées, propriété de la commune des Baux-de-Provence. Il décide d'y réaliser un projet génial intitulé « L'Image totale » : intégrer le spectateur au sein d'images projetées sur des sols et des parois naturels. La Commune autorise par la suite la société CATHEDRALE D'IMAGES, créée par A. Plécy, à organiser des spectacles audiovisuels sur ce site et lui consent un bail commercial. Au décès d‘Albert Plecy, l’activité est reprise par son épouse puis par son petit-fils.

C’est dans ce contexte que la Commune donne congé à CATHEDRALE D'IMAGES et refuse de renouveler le bail pour motif soi-disant grave et légitime. Et la Commune attribue l'exploitation artistique des carrières à la société CULTURESPACES, à l'issue d'une procédure d'appel d'offres de délégation de service public portant sur la mise en valeur du site.

CATHEDRALE D'IMAGES et les ayants-droits d’Albert Plécy assignent alors la société CULTURESPACES en contrefaçon de droit d'auteur et parasitisme.

La décision

Le 1er décembre 2015, la Cour d’appel de Paris déboute la société CATHEDRALE D'IMAGES et les ayants-droits d’Albert Plécy de leurs demandes pour contrefaçon de droits d’auteur.

La Cour d’appel a en effet à nouveau rappelé que « sont exclues du champ de la protection du droit d’auteur les simples idées, seule leur formalisation dans une forme achevée et originale étant susceptible d’appropriation ». Elle a aussi ajouté que « l’idée de projeter dans les carrières des Bringasses et des Grands Fonts des Baux de Provence, des reproductions artistiques afin d’immerger le spectateur dans des images ne peut faire l’objet en soi d’une protection au titre du droit d’auteur » (CA Paris, 1er déc. 2015, n° 14/14179).

S’agissant de la formalisation de l’idée en cause, la Cour d’appel a souligné que « le droit d’auteur ne peut naître de la simple mise en œuvre d’un savoir-faire, aussi talentueux soit-il, tel qu’un travail de recherche et de documentation, et que les choix effectués ne peuvent être pris en compte que s’ils sont laissés à l’arbitraire de l’auteur ». Pour les juges, les éléments produits par les appelants, « s’ils révèlent qu’un véritable travail a été mis en œuvre afin de transformer les anciennes carrières en un lieu de spectacles audiovisuels et que l’idée de M. F a bien pris forme ». 

La Cour de cassation a approuvé cette solution dans un arrêt du 31 janvier 2018 en soulignant notamment que « le détournement des Carrières des Lumières et des Grands Fonts des Baux-de-Provence pour y projeter des reproductions d'œuvres artistiques afin d'immerger le spectateur dans des images, n'est l'expression que d'une idée qui, comme telle, ne peut être éligible à la protection conférée par le droit d'auteur ».

La Cour de cassation a également approuvé la cour d’appel de Paris en ce qu’elle a jugé que les demandeurs n’avaient pas démontré, au-delà de l’idée susvisée, l’existence de choix révélateurs de la personnalité des auteurs.

Lot de consolation pour CATHEDRALE D'IMAGES, la Cour d’Appel de Paris, approuvée par la Cour de cassation, a condamné la société CULTURESPACES à payer 300 000 € de dommages et intérêts pour parasitisme. Elle a également obtenu une indemnité pour la résiliation du bail, même si l’affaire est toujours en cours à ce jour sur ce plan (voir aussi sur cette aff. l’article Nouvelle victoire judiciaire pour Cathédrale d'Images de La Provence ; Arrêt de la Cour de Cassation, Civ. 3, 17 juin 2021, pourvoi 19.21132).

Protection des idées : que dit le droit européen ?

Si l’harmonisation n’est pas complète au sein de l’UE, le droit européen va globalement dans le même sens que le droit français : il exclut en principe la protection des idées et des concepts.  De manière générale, la Cour de justice de l’Union européenne a souligné dans une décision du 13 novembre 2018 que :

« ce sont les expressions et non les idées, les procédures, les méthodes de fonctionnement ou les concepts mathématiques, en tant que tels, qui peuvent faire l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur ».

Les logiciels

Ainsi, en matière de logiciels, le considérant 11 et l’article 1, paragraphe 2, de de la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 rappellent que seule l’expression d’une idée peut éventuellement être protégée par le droit d’auteur.


Une interface utilisateur graphique

En 2010, les juges européens en ont également déduit que lorsque l’expression des composantes d’une œuvre est dictée par une fonction technique, « les différentes manières de mettre en œuvre une idée sont si limitées que l’idée et l’expression se confondent », de sorte qu’elle ne peut alors être protégée par le droit d’auteur.

Il s’ensuit qu’une œuvre, telle qu’une interface utilisateur graphique ne saurait être protégée par le droit d’auteur lorsque « les composantes de l’interface utilisateur graphique qui seraient uniquement caractérisées par leur fonction technique ».


Un programme d’ordinateur

Les juges du Luxembourg ont repris cette solution dans l’affaire SAS Institute, en jugeant que si les formes d’expression d’un programme d’ordinateur sont protégeables par le droit d’auteur, tel n’est pas le cas de sa fonctionnalité. En effet, pour les juges européens,

« admettre que la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur puisse être protégée par le droit d’auteur reviendrait à offrir la possibilité de monopoliser les idées, au détriment du progrès technique et du développement industriel ».


Les œuvres des arts appliqués

Plus récemment, les juges européens ont encore appliqué ce principe en matière d’œuvres des arts appliqués. Selon la Cour de justice de l’UE,

« le critère de l’originalité ne saurait être rempli par les composantes d’un objet qui seraient uniquement caractérisées par leur fonction technique, puisqu’il découle notamment de l’article 2 du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur que la protection au titre du droit d’auteur ne s’étend pas aux idées ».

Ainsi, « protéger ces dernières par le droit d’auteur reviendrait, en effet, à offrir la possibilité de monopoliser les idées, au détriment, notamment, du progrès technique et du développement industriel ».

La distinction parfois difficile entre l’idée et la forme

Il n’est pas toujours facile de distinguer l’idée abstraite et la forme susceptible d’être protégée par le droit d’auteur. À partir de quel degré de formalisation une idée devient-elle susceptible d’appropriation par le droit d’auteur ?


L’affaire Jakob Gautel / Bettina Rheims

Dans cette affaire, l’artiste Jakob Gautel revendiquait des droits d’auteur sur une œuvre intitulée "Paradis" qu'il avait créée pour l'exposition organisée en 1990 à l'hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, en apposant le mot "Paradis" au-dessus de la porte des toilettes de l'ancien dortoir des alcooliques de l'établissement. Il reprochait à Bettina Rheims d’avoir utilisé son œuvre, sans son consentement, pour la réalisation de son triptyque intitulé "La nouvelle Eve".

En défense, Bettina Rheims soutenait que l’œuvre revendiquée n’était pas protégeable par le droit d’auteur car elle n’était que l'expression d'une idée de détourner le sens d'un lieu par une inscription en décalage, et qu’une idée, fût-elle originale, ne saurait bénéficier de la protection du droit d'auteur.

Cette argumentation n’a pas toutefois été accueillie par les juges français qui ont considéré au contraire que l'œuvre revendiquée ne consistait pas en une simple reproduction du terme "Paradis",

« mais en l'apposition de ce mot en lettres dorées avec effet de patine et dans un graphisme particulier, sur une porte vétuste, à la serrure en forme de croix, encastrée dans un mur décrépi dont la peinture s'écaille ». Ils ajoutent que « cette combinaison implique des choix esthétiques traduisant la personnalité de l'auteur ».


L’affaire William Klein / John Galliano

Dans une autre affaire, le célèbre photographe William Klein reprochait à la société John Galliano d’avoir porté atteinte à ses droits d’auteur sur ses œuvres connues sous la dénomination « contacts peints ». Ces contacts peints correspondent à de nouveaux tirages de photographies existantes sous la forme de “planches contact” très agrandies, qui sont alors utilisées comme base d’un traitement pictural avec des laques de couleur, qui viennent souligner et mettre en scène le travail photographique.

William Klein reprochait plus précisément à la société John Galliano d’avoir reproduit de manière quasi-servile dans une campagne publicitaire non seulement le principe de ses “contacts peints” mais encore la forme des inscriptions de laque soulignant les photographies.

En défense, la société John Galliano soutenait que les œuvres n’étaient pas suffisamment identifiées et que ce flou révélait la volonté de protéger un genre, c’est-à-dire d’un concept.

Le Tribunal n’a pas été de cet avis et a au contraire estimé que les éléments repris ne procédaient pas d’une idée non protégeable, « mais bien une création de forme portant la marque de sa personnalité propre » (TGI Paris, 28 mars 2007, n° 07/52571).


La deuxième affaire William Klein

Trois ans plus tard, saisi d’une nouvelle demande en contrefaçon de William Klein, le Tribunal de grande instance de Paris a toutefois statué dans un sens différent. Cette fois, le Tribunal a relevé que l’originalité des œuvres de William Klein

« ne peut se résumer au simple fait d’apposer des éléments picturaux sur un contact photographique » et qu’elle est « nécessairement caractérisée par le choix particulier d’une part de la planche photographique, de la photographie centrale et des vues immédiatement voisines, et d’autre part, du choix de la couleur et de la forme des traces picturales, spécifiques à chaque contact peint ». 

Or, dans cette affaire, le Tribunal a estimé que William Klein avait réduit la description de ses œuvres « à la simple apposition de traces picturales sur une bande contact photographique, sans souligner le choix pour chacune de ses œuvres, de la bande contact et de la photographie centrale d’une part et de la couleur et de la forme des traits picturaux d’autre part ».

Le Tribunal a ainsi reproché au demandeur d’avoir passé sous silence les étapes de la création qui portent l’empreinte de sa personnalité dans chacun de ses contacts peints, de sorte qu’il revendiquait ainsi « un genre, un style ou une méthode qui ne peuvent être protégés par la propriété artistique ».

Et le Tribunal d’ajouter que « le simple fait qu’il revendique au titre du droit d’auteur certains des éléments communs à sa série de contacts peints (un encadrement principal, une croix-visible en entier ou non- barrant la vue immédiatement voisine et la croix de Saint-André cerclée placée dans un coin de l’image centrale) montre bien qu’il revendique une démarche picturale donc un genre, fil conducteur de sa série et non une œuvre en particulier ;  or, il est constant que l’originalité s’apprécie œuvre par œuvre tout comme la contrefaçon » (TGI Paris, 3e ch. 3e sect., 7 mai 2010, n° 08/17884 ; voir également l’arrêt d’appel : CA Paris, pôle 5 - ch. 2, 23 sept. 2011, n° 10/11605).

On le voit, la frontière peut donc être ténue ! Ce qui compte, finalement, c’est la description de choix concrets, précis et objectifs, permettant de formaliser l’œuvre. Pour reprendre les termes de la Cour de justice de l’Union européenne, la notion d’œuvre implique nécessairement l’existence « d’un objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité ».

Comment protéger une idée ou un concept : indirectement avec l'accord de confidentialité et la concurrence déloyale et parasitisme

On l’a vu, la protection des idées par le droit d’auteur est en principe exclue. Seule l’expression d’une idée peut éventuellement l’être, sous réserve qu’elle soit suffisamment formalisée. Alors, les idées peuvent toujours être librement utilisées et copiées par tout un chacun ?

La réalité n’est bien sûr pas si simple ! Le principe est bien que les idées sont libres de parcours. Mais la reprise de l’idée d’autrui peut, dans certaines circonstances, devenir fautive.


L’accord de confidentialité

En premier lieu, si la personne à l’origine de l’idée a pris la précaution de conclure un accord de confidentialité, la violation de cet accord par son cocontractant constituera en principe une violation contractuelle, et donc une faute pouvant ouvrir droit à des dommages et intérêts.

On ne rappellera donc jamais assez que, dans la vie des affaires, il faut se parer de la plus grande prudence et protéger ses idées par des fameux « NDA » ou « non disclosure agreements » (c’est-à-dire des accords de confidentialité, tout simplement !).

Pour en savoir plus, consultez notre fiche pratique sur l'accord de confidentialité (NDA).


Les actes déloyaux et fautifs

En deuxième lieu, au-delà même du droit des contrats, le droit civil français sanctionne les actes déloyaux et fautifs commis dans la vie des affaires. Mais qu’est-ce qu’un comportement déloyal et fautif ?

La simple reprise d’une idée ne peut pas, en soi, être considérée comme déloyale et donc fautive (puisque les idées sont justement de libre parcours).

C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans une affaire à propos de l’idée de représenter sur une bouteille de vin un dessin décoratif suggérant de façon ludique l'association du breuvage à un plat :

« les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas un acte de parasitisme ».

Le Tribunal de Grande Instance de Paris a statué dans le même sens dans l’affaire Veilhan / Orlinski évoquée plus haut. Le Tribunal a estimé en effet qu’aucun acte de parasitisme n’était démontré dans cette affaire au motif que :

« la démarche conceptuelle de chacun des artistes est clairement différente et la formalisation des œuvres démontrent l’empreinte personnelle de chacun d’eux ».

En effet, pour le Tribunal, Orlinski n’avait pas dépassé « les limites de la simple inspiration » et ne s’était pas délibérément placé dans le sillage de Monsieur VEILHAN ni n’avait indûment tiré profit d’un avantage concurrentiel développé par ce dernier « puisqu’il ne s’est pas contenté de décliner en objets de décoration les œuvres du demandeur mais a créé des sculptures animalières réalistes dans les couleurs relevant de la tendance générale en matière artistique ».


Les circonstances qui entourent la reprise de l’idée peuvent être déloyales et fautives

Si la simple reprise d’une idée n’est pas en soi fautive, les circonstances qui l’entourent peuvent la rendre fautive. C’est le cas lorsque la reprise de l’idée crée un risque de confusion ou qu’elle permet au tiers de se placer dans le sillage de la victime.

La 2e affaire William Klein

Les faits

Dans la seconde affaire William Klein précitée (dans laquelle il avait été débouté de ses demandes pour contrefaçon), le photographe reprochait également à la société à l’origine du tableau litigieux d’avoir fait expressément référence à son travail pour la promotion et l’identification de son offre commerciale.

La société en cause présentait en effet sur son site son produit avec la mention : « unique, original et contemporain, hommage à William Klein, les tableaux cinéma vont faire de vous une star ».

La décision

La Cour d’appel de Paris a considéré que cette référence expresse à un artiste déterminé qui émane d’un professionnel a pour finalité de rattacher l’offre commerciale qui est faite sur le site internet à la réputation de l’artiste et ainsi tirer profit de son travail et de son renom pour vendre des produits.

La Cour en a déduit que la société concernée s’était rendue coupable d’agissements parasitaires et l’a condamnée à payer 15 000 € de dommages et intérêts (CA Paris, pôle 5 - ch. 2, 23 sept. 2011, n° 10/11605).

L'affaire Cathédrale d'images / Culturespaces

Les faits

De même, dans l’affaire CATHEDRALE D’IMAGES mentionnée ci-avant, la Cour d’appel de Paris a certes rejeté les demandes en contrefaçon de droits d’auteur contre CULTURESPACES, mais cette dernière n’est pas sortie indemne du litige. En effet, au-delà de la contrefaçon, CATHEDRALE D’IMAGES lui reprochait des actes de parasitisme

La décision

Et la Cour d’appel de Paris a condamné CULTURESPACES sur ce fondement pour avoir :

  • repris sans nécessité le « concept de spectacle précédemment mis en œuvre par la société CATHEDRALE D’IMAGES »,
  • repris le thème des spectacles organisés par CATHEDRALE D’IMAGES autour de grands noms de la peinture, en reprenant même des sujets (Van Gogh et Léonard de Vinci) qui avaient été précédemment programmés par CATHEDRALE D’IMAGES ;
  • communiqué abondamment en utilisant le vocable « CATHEDRALE D’IMAGES » et en établissant un lien entre ses propres spectacles et public et ceux de CATHEDRALE D’IMAGES.

La Cour d’appel en a conclu que CULTURESPACES avait délibérément cherché à se placer dans la continuité de la société CATHÉDRALE D’IMAGES et a condamné CULTURESPACES à payer 300 000 € de dommages et intérêts (CA Paris, 1er déc. 2015, n° 14/14179). 

La Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir retenu, au regard d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité, que « Culturespaces avait indûment tiré profit des efforts déployés pendant plus de trente ans par la société Cathédrale d'images, économisant des frais de promotion pour ses spectacles et limitant sa prise de risque quant au succès commercial d'une valeur économique qui avait fait ses preuves ».

L'affaire ENS (Atelier du chocolat) / Maison Apollinaire

Les faits

Dans cette affaire, Monsieur Serge Andrieu, artisan chocolatier, fondateur de l’enseigne 'L’ATELIER DU CHOCOLAT', revendiquait avoir créé en 1993 une spécialité appelée 'BOUQUET DE CHOCOLAT’.

Ce bouquet était composé d’un assortiment de feuilles de chocolats, de morceaux de plaques de chocolat, associés à d’autres produits chocolatés, le tout étant confectionné en atelier et disposé dans un cornet de papier et de cellophane transparent, et fermé par un lien de raphia retenant une étiquette sur laquelle est apposé le signe 'BOUQUET DE CHOCOLAT'.

Par la suite, Serge Andrieu et la société ENS, à qui il avait concédé la marque L’ATELIER DU CHOCOLAT, ont découvert en décembre 2008 la présence dans les magasins LECLERC et CHAMPION d’un produit reprenant, selon eux, les caractéristiques essentielles de la spécialité 'BOUQUET DE CHOCOLAT'.

Le produit litigieux avait la forme d’un bouquet composé de morceaux de chocolat cassés, commercialisé sous le nom 'LE BOUQUET DES GOURMETS’ et fabriqué et distribué par la société MAISON APOLLINAIRE.

La décision

La Cour d’appel de Paris a considéré que :

Si les idées sont de libre parcours, il n’en demeure pas moins que « l’offre à la vente et la vente de morceaux de chocolat de différentes sortes, cassés dans un emballage en carton pour la partie inférieure et en cellophane transparent pour la partie supérieure, attaché par un lien de raphia ou équivalent de couleur beige, l’ensemble se présentant sous la forme d’un cadeau à offrir et sous une dénomination comprenant le terme 'BOUQUET', ne procède pas de l’exercice de la libre concurrence, mais traduit la volonté délibérée de la société appelante d’entretenir la confusion dans l’esprit du public avec les produits commercialisés par la société ENS qui présentent les mêmes caractéristiques, et constituent dès lors des actes de concurrence déloyale ».

« La société ENS justifie de l’importance de ses investissements publicitaires relatifs aux 'bouquets de chocolats’ en cause, qui constituent l’un de ses produits phares, notamment par la production d’articles et de presse ; que la société MAISON APOLLINAIRE qui ne justifie quant à elle d’aucun élément de nature à établir ses propres efforts de création et de promotion des 'bouquets des gourmets ' incriminés, a ainsi manifesté sa volonté délibérée de se placer dans le sillage de la société ENS pour bénéficier du succès rencontré auprès de la clientèle par ses chocolats ».

La Cour d’appel a condamné la MAISON APOLLINAIRE à payer 70.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de concurrence déloyale et de parasitisme (CA Paris, pôle 5, 14 févr. 2014, n° 13/07691).

Le mot de la fin !

En conclusion, les idées et les concepts ne sont en principe pas protégeables par le droit d’auteur. Une action en contrefaçon sur ce fondement serait donc vouée à l’échec. Toutefois, dans certaines circonstances particulières, leur reprise peut être déloyale et fautive. Il est alors possible d’agir sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire.

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