Que ce soit au cinéma, à la télévision ou sur les plateformes de vidéos à la demande, la quantité de programmes audiovisuels a explosé ces dernières années. Films, téléfilms, séries, documentaires, animation, etc., le choix n’a jamais été aussi vaste et varié. Au centre de ces créations se trouve le producteur audiovisuel. Pour mieux comprendre le fonctionnement de la production audiovisuelle et ses enjeux juridiques, nous sommes allés à la rencontre d’Armelle Chassé Laloue, ancienne directrice juridique de Lagardère Studios. Elle partage son expérience et répond à nos questions : quel est le rôle du producteur audiovisuel ? Quelles sont les différentes étapes de production des programmes audiovisuels ? Comment le producteur gère-t-il les droits des auteurs, artistes-interprètes et différents contributeurs ? Quel est le rôle du juriste ? Quelles sont les incidences de l’arrivée sur le marché des plateformes comme Netflix ou Amazon Prime Video ? Plongez dans le monde de la production audiovisuelle avec la rubrique Creatricks « Dans la tête de… ».
Bonjour Armelle, merci d’avoir accepté de répondre aux questions de Creatricks. Pour commencer, peux-tu nous dire qui tu es ? Quel est ton parcours ?
Bonjour, je m’appelle Armelle Chassé Laloue. J’ai commencé ma carrière en tant qu’avocate, spécialisée dans le domaine des nouvelles technologies. Ensuite, je suis partie travailler en entreprise en tant que juriste, et c’est là que j’ai découvert l’univers des médias et de l’audiovisuel. J’ai notamment été directrice juridique d’Europe 1 et d’autres radios du groupe Lagardère, comme RFM et Virgin Radio. Puis, de 2014 à 2020, j’ai intégré Lagardère Studios, la branche de production et de distribution de contenus audiovisuels du groupe Lagardère. J’y ai exercé la fonction de directrice juridique pendant plus de cinq ans. Aujourd’hui, j’habite à Sydney en Australie, où je poursuis mon activité de juriste, mais dans un autre secteur. L’année qui a suivi mon départ, Lagardère Studios a été racheté par Médiawan, qui est l’un des principaux studios européens indépendants de contenus audiovisuels.
Pour entrer dans le vif du sujet, peux-tu nous expliquer ce qu’est un programme audiovisuel ? Qu’est-ce que cela inclut ?
Dans les programmes audiovisuels, on peut distinguer :
- les programmes de flux, qui sont souvent destinés à n’être diffusés qu’une fois, par exemple les magazines, jeux, émissions de divertissement, de variété, etc. ;
- les programmes de stock, qui conservent une valeur économique indépendamment du nombre de diffusions, par exemple la fiction avec des téléfilms unitaires, des séries ou encore l’animation, le documentaire et la captation de spectacles vivants, etc.
Ces programmes audiovisuels sont fabriqués par des producteurs audiovisuels.
Qu’est-ce qu’un producteur audiovisuel ? Quel est son rôle dans la création audiovisuelle ?
Le producteur de l’œuvre audiovisuelle, c’est la personne physique ou morale qui prend l’initiative et la responsabilité de la réalisation de l’œuvre. Ici, on parle du producteur délégué, celui qui assure la fabrication du film, de sa conception à sa diffusion. Il a un rôle financier et il a un rôle lié au contenu.
Il faut distinguer le producteur délégué et le producteur exécutif. Le producteur délégué détient les droits sur l’œuvre et demande au producteur exécutif de fabriquer le programme dans le budget convenu. Le producteur exécutif est un prestataire qui ne détient pas de droits et qui ne finance pas le projet. C’est un exécutant. Le producteur délégué peut aussi être le producteur exécutif, il peut revêtir les deux casquettes. Je vais surtout parler ici du rôle du producteur délégué.
Généralement, le producteur délégué exerce son activité sous la forme d’une société de production. Cette société assume le financement de l’œuvre et est garante de sa bonne fin. Cela veut dire que le producteur s’engage à livrer ce qui a été convenu. Et si jamais il y a un dépassement de budget, ce sera à ses frais et à ses dépens. Il assume le risque financier. C’est ce qui justifie aussi le fait que le producteur délégué soit décisionnaire sur la conduite de la production. En pratique, il travaille en étroite collaboration avec le diffuseur qui participe au plan de financement du programme.
Qu’est-ce que le diffuseur de programmes audiovisuels ?
Historiquement, ce sont les chaînes de télévision. Mais ces dernières années, d’autres diffuseurs sont arrivés sur le marché, comme les plateformes, type Netflix, Amazon Prime Vidéo, Disney +, etc.
Y a-t-il toujours un diffuseur qui participe financièrement aux projets ?
Oui, à quelques très rares exceptions près, il n’y a pas de projets qui ne soient pas financés par un diffuseur.
Est-ce que les équipes chargées de la création des programmes audiovisuels sont des salariés internes, ou est-ce que ce sont des prestataires externes qui sont rassemblés pour chaque projet ?
Une société de production fonctionne en accordéon en fonction des projets en développement et de ceux en production. Quand il n’y a pas de projet en production, elle ne compte qu’une toute petite équipe.
Par exemple, pour le développement d’un programme de fiction, le ou les auteurs du scénario ne font pas partie de l’entreprise. Ce sont des personnes qu’on va chercher à l’extérieur pour un projet spécifique et avec lesquelles on va signer les différents contrats successifs. Comme notamment, en amont, un contrat d’option, avec un pitch sur lequel l’auteur va commencer à travailler. Il est ensuite missionné pour écrire le scénario.
Et dès qu’un projet de fiction se concrétise et va partir en production, la société embauche toutes les personnes nécessaires, ce qui peut soudainement mobiliser plus d’une centaine de contributeurs. La plupart ont le statut d’intermittent du spectacle (comédien, technicien), mais il peut aussi s’agir de prestataires.
Tout cela fait partie de la complexité du secteur audiovisuel. Il faut gérer des statuts différents, des conventions collectives différentes, des accords interprofessionnels qui sont signés entre les syndicats professionnels (des producteurs, des auteurs, etc.) ou avec des diffuseurs. Cela construit un corpus de règles très évolutives, qui sont destinées à donner de la visibilité et des règles les plus claires possibles sur les droits et obligations de chacun.
Comment se passe la production d’une œuvre audiovisuelle ? Chronologiquement, quelles sont les différentes étapes ?
Prenons l’exemple d’un projet de programme de fiction.
Il peut s’agir d’une idée originale ou de l’adaptation d’une œuvre préexistante, par exemple un roman. Dans les deux cas, la première étape est la phase d’écriture et de développement du projet qui démarre par la collaboration du producteur avec un ou plusieurs auteurs.
Le producteur va présenter ou « pitcher » le projet à un diffuseur, pour le convaincre de le co-financer, par exemple en mettant en avant que ce projet correspond à sa grille de programmation. S’ils tombent d’accord, ils signent une convention de développement, aux termes de laquelle les travaux d’écriture du scénario vont démarrer.
Il s’ensuit une phase d’échanges avec le diffuseur pour qu’il puisse vérifier et valider que le projet correspond à ce qu’il souhaite mettre à l’antenne. Toute cette mécanique sert à lancer le projet en partageant les coûts avec le diffuseur.
À l’issue de cette phase de développement, on obtient un livrable (comme un scénario), mais aussi un devis du coût de production et un plan de financement. Cela permet de matérialiser la qualité artistique du projet et sa faisabilité économique.
Dans le devis, on met tous les coûts liés à la préparation du tournage. C’est la préproduction, qui inclut le lieu, les décors, les costumes, les équipes artistiques (réalisateur, artistes-interprètes) et techniques (techniciens, maquilleurs, etc.).
On inclut également les coûts liés au déroulement du tournage ainsi que la phase plus technique du montage et de la postproduction, pour arriver à un produit fini.
Il s’agit de réunir et démontrer les conditions de faisabilité du projet et c’est le cœur du métier de producteur : fédérer les talents pour bâtir un projet et évaluer combien ça va coûter.
Autre point important : le plan de financement. Comment réunit-on les fonds nécessaires pour produire le programme audiovisuel ?
Dans le système français, les diffuseurs participent au financement. Ils ont d’ailleurs une obligation de contribution à la production d’œuvres audiovisuelles, dont une part doit être consacrée à la production d’œuvres indépendantes (c’est-à-dire produites par un producteur qui n’est pas contrôlé par un diffuseur).
Un autre aspect typiquement français : les aides octroyées par le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée). Ça n’existe pas dans tous les pays. C’est très important en France. Ce sont des aides à l’écriture, au développement, à la production, etc. Soit, il faut monter un dossier pour les obtenir, au cas par cas. Soit, le producteur détient un compte de soutien et il a déjà des crédits CNC qu’il peut utiliser. Ça fait aussi partie du rôle du producteur de gérer ces aspects-là.
Arrive ensuite le moment clé : « boucler » le plan de financement en obtenant l’accord de tous les participants au plan de financement, au premier rang desquels figure le diffuseur. S’il est obtenu, cela aboutit à la signature d’une convention de co-production ou une convention d’achat de droits avec le diffuseur. Le diffuseur peut soit devenir coproducteur, soit acheter les droits exclusifs de diffusion. Cet accord déclenche toute la phase de recrutement des équipes et le lancement du tournage.
Le producteur assume la responsabilité financière, mais il a aussi une responsabilité sur le contenu. Le programme audiovisuel livré doit correspondre à ce qui a été convenu et intégrera la vision du producteur, des auteurs et du réalisateur. Tout ça est le fruit d’un travail commun avec une vision artistique bien particulière.
Quel est le rôle de la direction juridique dans la création de programmes audiovisuels ?
Le producteur est le chef d’orchestre qui fédère les différents talents autour d’un même projet. Il est au centre et la direction juridique doit organiser la signature des contrats nécessaires avec tous les contributeurs et partenaires qui constituent la « chaîne des droits ». On parle des ayants droit.
Tout d’abord, il y a des contrats de cession de droits d’auteur avec le ou les auteurs du scénario, le réalisateur, le compositeur de musique, etc. Pour l’adaptation d’un roman, il faut signer un contrat avec l’éditeur. Ensuite, on a des contrats avec les comédiens, c’est-à-dire les artistes-interprètes, qui ont eux des droits voisins. Puis, il y a tous les contrats de travail avec les techniciens, les directeurs et assistants de production, les habilleurs, etc. (on parle de contrats à durée déterminée d’usage). Le producteur doit s’assurer que toutes les personnes cèdent les droits nécessaires pour pouvoir fabriquer l’œuvre, l’exploiter et la diffuser.
Sur le contrat de cession de droits d'auteur, lire aussi :
- Article : Cession de droits d'auteur : comment se protéger ?
- Infographie : Que mettre dans une clause de cession de droits d'auteur ?
- Podcast : Comment céder mes droits d'auteur ?
Le rôle du service juridique, c’est de travailler en amont sur le montage du projet et de sécuriser les droits. Cela inclut la négociation et la rédaction des contrats, pour que ce qui est cédé corresponde à ce qui a été convenu avec le diffuseur. Il faut aussi obtenir des droits pour permettre au producteur de continuer à exploiter le programme, au-delà de ce qui a été cédé au primodiffuseur. Les ayants droit ont vocation à percevoir une rémunération sur ces exploitations-là.
Le juriste intervient également, par exemple, dans la sécurisation du tournage. Si c’est un lieu historique, il faut des autorisations spécifiques, il faut s’assurer des droits sur le bâtiment (architectes). Il y a aussi des autorisations de diffusion à obtenir, avec le droit à l’image, par exemple pour un documentaire. Si ces personnes sont des mineurs, il faut l’accord des parents. Il y a tout un arsenal d’outils que le juriste met à la disposition des équipes.
Sur le droit à l'image, consultez notre infographie : Est-ce que je peux utiliser l'image d'une personne dans une création ?
Comment décrirais-tu les relations entre le producteur et les auteurs, réalisateurs, artistes-interprètes ?
Je pense que la création d’un programme audiovisuel est le fruit d’une coopération entre une communauté de talents, que ce soit le producteur, les auteurs, le réalisateur, les artistes-interprètes, etc. Ensemble, ils vont créer une œuvre de l’esprit originale, qui va être protégée par les droits d’auteur. Chaque contributeur a un rôle important dans ce processus de création. Mais c’est le producteur qui assume la responsabilité financière, artistique et technique de la réalisation du programme audiovisuel (la garantie de bonne fin). Ce poids pèse sur ses épaules. Et cela explique qu’il contrôle la gestion et le respect du budget, et les orientations artistiques et techniques du projet.
Ce travail intervient dès la phase d’écriture et ce qui est intéressant, c’est d’associer l’auteur aux réalités de la production. Je donne un exemple un peu caricatural : si un auteur prévoit dans son scénario que trois hélicoptères doivent survoler un endroit dangereux, ce n’est pas possible. C’est très cher et cela requiert des précautions supplémentaires en termes d’assurances et d’autorisations. Peut-être y a-t-il d’autres manières de faire ? Le dialogue est permanent.
Et au niveau de la rémunération des auteurs, des réalisateurs et des artistes-interprètes, est-ce qu’il y a une marge de négociation ? Où est-ce que les montants leur sont imposés ?
Il y a différents mécanismes de rémunération :
- la rétribution fixe pour rémunérer leurs contributions directes (en salaire ou en droits d’auteur) ;
- la rétribution proportionnelle correspondant aux droits liés à l’exploitation du programme audiovisuel (en droits d’auteur ou en droits voisins).
La notoriété de l’auteur, du réalisateur ou du comédien, ainsi que la nature et le budget de production du programme audiovisuel sur lequel ils vont travailler jouent forcément sur leur rémunération.
Bien évidemment, l’objectif du producteur est de faire des bénéfices, c’est une société commerciale comme toutes les autres. Pour cela, le plan de financement doit couvrir tous les coûts du devis et lui permettre de réaliser une marge. Mais pour que tout cela fonctionne, il est essentiel que tous les contributeurs y trouvent leur compte.
On a reproché au producteur une opacité dans la conduite de son activité. Notamment, les diffuseurs ont réclamé des obligations de transparence sur les comptes de production. Depuis 2016, la loi encadre formellement l’obligation des producteurs d’établir et transmettre les comptes de production à ceux qui participent au plan de financement (ex. : diffuseurs) et aux auteurs.
Une des obligations essentielles des producteurs est également de rendre compte de l’exploitation de l’œuvre auprès des ayants droit, c’est-à-dire les auteurs, artistes-interprètes, etc. La rémunération proportionnelle qui leur revient, sous forme de droits d’auteur ou de droits voisins, est reversée soit directement par le producteur, soit via des sociétés de gestion collective de droits (SACD, ADAMI, SACEM, etc.).
Il ne faut pas sous-estimer ce que tout cela requiert en termes d’organisation chez un producteur. Quand on parle de reddition de comptes, de reversements, ça veut dire qu’il faut avoir des outils technologiques et du personnel dédié pour gérer toute la vie du programme audiovisuel.
Et puis, le producteur a une obligation de recherche d’exploitation suivie du programme audiovisuel. Il doit faire ses meilleurs efforts pour exploiter le programme audiovisuel, notamment via le distributeur.
Sur le même thème, consultez l'article : Comment surveiller l'exploitation de son œuvre ?
Qu’est-ce que le distributeur du programme audiovisuel ? Quel est son rôle ?
Le distributeur peut être une personne qui travaille en interne pour le producteur, dans le but de distribuer le programme. Cela peut aussi être une structure distincte à laquelle le producteur va donner un mandat de distribution du programme. Il n’y a pas de cession de droits. Le distributeur est mandaté pour trouver des diffuseurs, comme les chaînes de télévision, les plateformes, les compagnies aériennes, mais aussi les distributeurs de DVD, etc. Le distributeur est donc un commercial qui perçoit une commission sur les ventes qu’il réalise.
Le cadre de sa mission dépendra des droits que détient le producteur. On exclut les droits qui ont été cédés au primodiffuseur, qui a co-financé le programme. A-t-il une exclusivité, pour quelle durée ? Cette deuxième vie de l’œuvre est importante, car c’est une source de rémunération pour le producteur, mais aussi pour les auteurs et les autres ayants droit qui perçoivent des rémunérations liées à l’exploitation du programme. C’est grâce au distributeur que le producteur peut continuer à exploiter l’œuvre.
Être distributeur est un métier bien spécifique. Il faut très bien connaître les acteurs du marché, savoir qui sera intéressé par tel programme. Pendant longtemps, le rôle du distributeur était plutôt discret. Mais cela a changé ces dernières années, il peut d’ailleurs intervenir très en amont et être associé au plan de financement du programme. Il peut ainsi donner son avis sur le projet, car il connaît bien le marché. Il sait ce qui fonctionne, ce qui se vend bien et ce qui marche moins bien. Il donne des indications sur les tendances. Cela permet au producteur de sécuriser davantage la distribution du programme, et au distributeur de s’assurer la distribution de programmes dont il croit au potentiel.
Finalement, ce qu’il faut retenir c’est que l’industrie audiovisuelle se caractérise par une large coopération entre les différents intervenants et que l’objectif de tous est que cela fonctionne ?
Oui, l’audiovisuel est une filière à part entière au sein de laquelle le producteur, les auteurs, les artistes-interprètes, les techniciens, les diffuseurs et les distributeurs travaillent de concert. L’objectif de tous est de produire des programmes audiovisuels qui auront du succès auprès du public.
C’est aussi le gage de pouvoir renouveler des collaborations fructueuses avec une communauté de talents, par exemple avec de nouvelles saisons pour une série. Sans oublier que, comme le cinéma, l’audiovisuel participe au rayonnement culturel de la France à l’étranger.
Parlons de l’arrivée récente des plateformes de type Netflix, Amazon Prime Vidéo, Disney + et autres, sur le marché de l’audiovisuel. Quelles sont les conséquences pour le producteur ?
Ces plateformes sont d’abord arrivées comme des structures qui achetaient seulement des droits de diffusion sur des contenus audiovisuels préexistants (programmes de stock essentiellement). Leur interlocuteur naturel était donc le distributeur. Il y a alors eu des adaptations des cessions de droits au niveau des territoires. Car lorsqu’on vend un programme à une chaîne de télévision française, la cession est principalement limitée au territoire national. Or, ces plateformes ont un rayonnement mondial. Cela a généré aussi des adaptations supplémentaires pour le doublage et le sous-titrage des programmes dans plusieurs langues.
Côté producteur, on a vu l’arrivée de ces nouveaux entrants comme une véritable opportunité. Car la production audiovisuelle est un secteur très concurrentiel. Il y a beaucoup de producteurs, des très gros et des petits. Et finalement, il n’y a pas tant de clients que ça. À l’époque où la grille de programmes des chaînes de télévision était linéaire, la programmation était uniquement ce qu’on pouvait diffuser dans une journée. Maintenant, avec les plateformes, les choses ont changé grâce à la vidéo à la demande, aux abonnements, aux achats à l’acte. L’offre a explosé et la consommation de contenus n’a jamais été aussi importante.
Ensuite, ces plateformes sont devenues des acteurs de la création originale, avec les séries Netflix et autres. Elles revêtent alors la casquette de prescripteur : elles commandent un contenu original qui doit être produit en exclusivité pour elles.
Ce sont des acteurs économiques américains qui sont arrivés avec une culture et des habitudes américaines sur la production, et donc une velléité marquée d’être les seuls détenteurs des droits. Cela a soulevé une discussion sur le rôle du producteur et sur l’étendue de ses droits.
Une nouvelle façon de travailler s’est développée, car ces plateformes sont extrêmement impliquées sur l’ensemble du processus.
Quoi qu’il en soit, le producteur doit jouer et défendre son rôle en collaborant de la manière la plus constructive et efficace avec son client et avec les autres contributeurs. Il doit faire en sorte que les demandes et intérêts de chacun (les siens, ceux des créateurs et ceux des plateformes) puissent se concilier. Ce qui n’est pas toujours évident. N’oublions pas que le producteur est garant de la bonne fin du programme vis-à-vis du diffuseur (plateforme ou autre).
D’autant plus que le système de protection des auteurs et artistes-interprètes n’est pas le même en France et aux États-Unis ?
Oui, aux États-Unis, ils fonctionnent avec le système « work made for hire », avec une cession automatique des droits au commanditaire. Les plateformes ont dû s’adapter aux règles du marché français. Mais toutes les règles ne sont pas d’ordre public, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas toutes obligatoires. C’est donc le poids de chaque protagoniste dans la négociation qui joue aussi.
Et à un moment donné, la question s’est posée de savoir comment on allait réglementer les plateformes en France. Car ce sont des sociétés étrangères à l’origine et elles n’étaient donc pas sous l’autorité du CSA (qui est devenu l’Arcom). Elles n’étaient pas non plus soumises à la réglementation française en matière audiovisuelle, selon laquelle tous les diffuseurs sont tenus de financer la production indépendante d’œuvres audiovisuelles en langue française. Il y avait une sorte de distorsion de concurrence entre les diffuseurs historiques et ces plateformes.
Depuis 2021, les plateformes sont désormais tenues d’investir dans la production d’œuvres audiovisuelles européennes en langue française, au même titre que les diffuseurs historiques. C’est un pas en avant dans leur intégration à l’écosystème français de l’industrie audiovisuelle (et cinématographique).
Par ailleurs, un accord a été signé en 2021 entre les syndicats de producteurs et des syndicats d’auteurs pour protéger le droit d’auteur à la française. Cet accord définit des clauses types à faire figurer dans les contrats de cession de droits d’auteur pour garantir les principes de la rémunération proportionnelle et le respect des droits moraux.
Un grand merci, Armelle, pour cet éclairage sur le monde de la production audiovisuelle et ses enjeux juridiques !
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